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colporteur de la civilisation. L’instruction serait ainsi portée à domicile, et l’influence exercée par le maître sur les parens et sur les hameaux où il séjournerait successivement serait heureuse et profonde. Il ne faudrait pas hésiter non plus à s’adresser au clergé, qui, étant national, ne serait pas ici, comme dans les pays catholiques, l’instrument de la politique ultramontaine. Il serait bon d’appliquer en Russie l’idée si ingénieuse récemment mise en pratique en Angleterre, et qui consiste à proportionner les subsides aux résultats acquis. C’est le principe de la responsabilité et du travail aux pièces, ce grand ressort de la production industrielle, introduit dans le domaine de l’école. D’après l’article 19 du « nouveau code » de 1871, le directeur d’une école ouverte au moins quatre cents fois dans l’année, soit le matin, soit l’après-midi, peut réclamer 6 shillings par enfant fréquentant régulièrement les classes pendant toute l’année, et en outre pour tout enfant soumis à l’examen annuel devant les inspecteurs publics[1] :


4 shillings, s’il satisfait pour la lecture,
4 shillings, s’il satisfait pour l’écriture,
4 shillings, s’il satisfait pour le calcul.
Total 12 shillings.


Qu’on introduise ce principe en Russie, qu’on accorde 1 ou 2 roubles au maître ou au pope par enfant sachant bien lire et écrire, et on obtiendra des résultats qui surprendront; mais, si l’on veut arriver à des progrès sérieux, il faut avant tout une intervention pécuniaire de l’état plus généreuse. L’empereur Alexandre paraît assez convaincu de la nécessité d’une action énergique, mais pour cela il faut beaucoup d’argent. Dans un rescrit récent du 25 décembre dernier, adressé au ministre de l’instruction publique le comte Dmitri Tolstoï, l’empereur, après une rapide esquisse des développemens qu’a pris l’enseignement depuis quelques années, insiste en termes profondément sentis sur l’urgence de garantir par un contrôle vigilant les principes de la foi, de la morale et des devoirs civiques dans les nombreuses écoles organisées en vue de répondre aux exigences de l’époque. « Il ne faut pas, dit l’empereur, que ce qui selon mes vues doit servir à la saine éducation des jeunes générations puisse devenir l’instrument d’une démoralisation du peuple, dont quelques symptômes se sont déjà produits. Maintenir l’éducation populaire dans l’esprit de la religion et de la morale est une tâche qui incombe non-seulement au clergé, mais encore

  1. Voyez, pour les détails, mon livre sur l’Instruction du peuple.