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ce fils de ses œuvres un peu plus solennellement que de raison. Lorsque, dans des termes conformes à la phraséologie du dernier siècle, il se déclarait avec quelque emphase « l’élève de la nature et de la méditation,» il ne laissait pas, à ce qu’il semble, de s’exagérer les bienfaits de l’éducation exceptionnelle qu’il s’était donnée. Quoi qu’il en soit, il y avait dans le spectacle de cette vie si occupée et si féconde, dans l’activité de cet infatigable esprit, quelque chose de communicatif et de fortifiant dont l’intelligence de Victor Baltard devait profiter tout d’abord en attendant le moment où l’enfant, devenu artiste à son tour, montrerait qu’il avait conservé la mémoire et le respect de ces premiers exemples.

D’autres souvenirs d’ailleurs, plus intimes encore, méritaient de survivre dans son cœur et y furent en effet fidèlement gardés jusqu’à la fin. Comment Baltard aurait-il pu oublier les preuves de désintéressement données en toute occasion par ce digne homme, et d’un désintéressement d’autant plus méritoire qu’il fallait, sans autre ressource que le travail de chaque jour, pourvoir à l’entretien et à l’éducation d’une famille de onze enfans? Le moyen d’autre part de se laisser aller au goût des superfluités ou à la mollesse pour qui se rappelait avoir vu son père dessiner du matin au soir l’hiver, dans une chambre sans feu, courir les rues en habit par une température glaciale, en un mot s’interdire presque comme des infractions au devoir les facilités les mieux permises, les plus simples commodités de la vie? Sans doute il arrivait bien à Louis-Pierre Baltard de pousser assez souvent de ce côté les choses à l’extrême, témoin la privation de nourriture ou de sommeil qu’il croyait devoir s’imposer de temps à autre pour le seul plaisir de se soustraire à ce qu’il appelait la tyrannie du corps, — ou bien encore le bizarre engagement qu’il prenait vis-à-vis de lui-même, et qu’il réussissait à tenir, de faire le voyage de Paris à Lyon sans s’être un seul instant accoté, durant tout le trajet, contre le dossier du compartiment de la diligence où il avait pris place. Oui, c’étaient là des pratiques un peu puériles, mais ces vanités mêmes d’un faux stoïcisme avaient leur excuse dans une préoccupation vraiment philosophique des conditions de la dignité humaine. D’ailleurs, excès pour excès, mieux valent encore, on en conviendra, les entraînemens résultant d’un trop vif besoin de sacrifice que ceux dont l’amour de soi est la cause exclusive et la jouissance à tout prix l’unique fin.

Nourri à cette école de liberté dans les études et d’austérité dans les mœurs, Victor Baltard ne laissa jamais s’effacer en lui les traces de la double influence qu’il avait subie au début de la vie. Sans passer avec la même facilité que son père de la composition d’un projet d’architecture à l’exécution d’une gravure, d’un dessin de figures ou d’un tableau, il n’eut garde, une fois devenu architecte,