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les protestans regnicoles purent être inhumés auprès des protestans étrangers; mais une certaine crainte ou le besoin de mystère naturel à l’homme subsistait encore, car les réformés avaient un champ de sépulture secret au port au Plâtre, qui est devenu le quai de la Râpée. C’était un chantier dont l’emplacement est délimité aujourd’hui par le quai de la Râpée, la rue de Bercy, la rue Traversière et la rue Villiot. Ce cimetière semble avoir été réservé de préférence aux personnages importans et riches du protestantisme installés ou tolérés à Paris. Parmi les noms de ceux qui furent conduits au port au Plâtre, s’en trouvent qui ne sont ni oubliés ni éteints : de La Boulaye, Soubeyran, de Brissac, Say, Delessert, Mallet, Perrégaux, Necker, de Witt, Thelusson, Tronchin, de La Baumelle. Toutes ces distinctions entre communions hostiles n’ont heureusement plus aucune raison d’être aujourd’hui; les catholiques et les protestans, saint Pierre et saint Paul, dorment fraternellement côte à côte dans les mêmes enclos. Aussi tous ces petits cimetières, dispersés autrefois, cachés dans des jardins, dans des chantiers, dans des bosquets perdus au milieu des parcs, ont-ils disparu. Tous? Non; il en existe encore un. Celui-là n’a jamais reçu aucun protestant; il appartient aux israélites, a été fondé en 1780, et renferme une quinzaine de tombes. En le cherchant bien, on pourrait le découvrir du côté de La Villette.

Ces cimetières israélites, protestans, catholiques, n’ont point laissé trace dans les souvenirs de la population parisienne; un seul est resté légendaire et méritait de l’être ; c’est le cimetière, le charnier des Innocens. Longtemps il fut le lieu de sépulture aristocratique; c’était quelque chose pour une famille bourgeoise d’avoir ses ancêtres aux Saints-Innocens; puis il devint la fosse commune, le pourrissoir, comme l’on disait, où vingt-deux paroisses, où l’Hôtel-Dieu, où la basse geôle du Châtelet versaient leurs morts. Il fut, pendant des siècles, au milieu même de la cité, dans l’endroit le plus peuplé, le plus fréquenté, un foyer d’infection toujours entretenu, toujours alimenté, et auquel on doit plus d’une des «pestes» qui ont ravagé la ville. Dans l’origine, il appartenait à ce vaste terrain nommé les Champeaux, sur lequel on a construit les halles, et qui s’étendait jusqu’où finissent aujourd’hui les rues Croix et Neuve-des-Petits-Champs. Une tradition prétend qu’on y enterrait déjà à l’époque de l’occupation romaine ; le fait n’a rien d’improbable, car les Champeaux étaient traversés par la route qui allait de Lutèce vers les provinces du nord. Ce fut Philippe-Auguste qui en 1186 le fit enclore de murs; auparavant c’était un lieu vague, chacun y passait, et à certains jours de l’année on y vendait des chevaux. Une église dédiée aux saints Innocens fut édifiée, et peu après on