Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/849

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour les survivans. On tâche de n’oublier personne afin de ne point faire de mécontens : « regretté de son père, de sa mère, de sa tante Ursule, de sa cousine Anna, des amis et de toutes les connaissances en général de sa famille; » on peut lire cela sur le tombeau d’un enfant, dans un des cimetières de notre ancienne banlieue. Cela semble de rigueur dans un certain monde et se renouvelle à chaque tombeau, surtout aux tranchées gratuites et aux concessions temporaires. Cette vieille rhétorique funéraire est bien entrée dans nos mœurs, et elle y régnera longtemps encore. Un nom, une date, pourraient suffire; des hommes de génie s’en sont contentés, Cuvier entre autres. L’épitaphe remarquable est ce qu’il y a de plus rare; l’antiquité, qui excellait à enfermer une pensée gracieuse dans une forme exquise, ne nous en a légué que deux dignes d’échapper à l’oubli, et toutes deux rappellent des danseuses. L’une vient de Grèce : « O terre, sois-lui légère, elle a si peu pesé sur toi ! » L’autre est du Latium : Saltavit biduo, et placuit ; elle dansa deux jours et plut! — Parmi toutes celles que j’ai lues dans nos cimetières, laquelle pourrais-je citer? Celle de Boufflers peut-être : « mes amis, croyez que je dors. » Au temps de mes voyages, j’ai trouvé dans le champ des morts d’une ville de la Cœlé-Syrie le tombeau d’un homme qui était né sur les bords du Gange; j’ai relevé l’inscription déroulée sur le cippe funéraire, la voici : « soumise à la vieillesse et aux chagrins, affligée par les maladies, en proie aux souffrances de toute nature, unie à la passion, destinée à périr, que cette demeure humaine soit abandonnée avec joie. » C’est un verset des lois de Manou.


IV. — MÉRY-SUR-OISE.

Tous les cimetières contenus dans l’enceinte de Paris sont actuellement fermés, c’est-à-dire que l’on n’y permet plus les inhumations que dans les concessions perpétuelles; les concessions temporaires et les tranchées gratuites sont closes; les morts ont saturé la terre, et la place manque pour en recevoir de nouveaux; on n’en sera pas surpris, si l’on se rappelle que le Père-Lachaise, Montparnasse et Montmartre ont seuls reçu 1,493,920 morts depuis qu’on les a ouverts. L’hygiène publique aussi bien que le respect dû aux trépassés ne s’accommode guère d’un tel entassement; par cette accumulation de matières en décomposition, nous avons jeté un défi à la peste; c’est miracle qu’elle n’y ait point répondu. Pour faire face à des exigences que chaque jour renouvelle et rend plus poignantes, la ville a été obligée d’établir deux nouveaux cimetières hors de Paris, l’un à Ivry, l’autre à Montmartre-Saint-Ouen. Le premier, situé en face de Bicêtre, qui le regarde du haut de sa laide colline, a été