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subit l’invasion de l’air glacé du nord, — un vrai courant polaire cette fois, — et par suite un de ces hivers exceptionnels comme on en compte deux ou trois par siècle. Ces conditions m’ayant paru se manifester assez clairement pendant l’automne et même pendant l’été de 1870, j’ai pu annoncer dès le mois de juillet l’hiver rigoureux qui nous menaçait[1].

Enfin examinons le cas qui s’est présenté précisément pendant l’hiver que nous venons de traverser. On voyait la région des calmes se maintenir avec persistance sur l’Europe centrale, il devait en résulter que le courant équatorial irait adoucir la température de l’hiver suédois et russe, tandis que notre ciel resterait alternativement serein ou brumeux; nous ne devions donc avoir ni grandes pluies ni grands vents, et les froids peu intenses que nous pouvions subir devaient être simplement dus à l’excès du refroidissement nocturne pendant de longues nuits calmes et sereines sur le faible réchauffement produit par les rayons très obliques du soleil pendant de belles, mais courtes journées d’hiver : c’est ce qu’on nomme vulgairement les beaux froids, les froids secs. Dans ces conditions atmosphériques, il pouvait faire plus froid sous le beau ciel de l’Italie que sur les côtes sombres et pluvieuses des Orcades.

En somme, le fait capital qui ressort de cette discussion est celui-ci : tant que le fleuve équatorial étend ses ondes entre nos contrées et les régions de haute latitude, toute possibilité d’un grand hiver est écartée. Les choses n’ont plus malheureusement le même degré de simplicité vers l’équinoxe de printemps lorsque les rayons solaires, pénétrant complètement la région polaire, parvenue à son maximum de froid, disloquent les masses aériennes de cette zone mystérieuse, les dispersent et en livrent les lambeaux désunis aux assauts du fleuve équatorial qui les côtoie. Celui-ci les entraîne dans son cours, et amène jusqu’à nos latitudes ces spécimens de l’air polaire, tout comme les courans de retour de l’Atlantique ramènent vers le sud les glaces flottantes du Groenland. C’est l’époque de l’année où l’atmosphère de nos latitudes est le plus profondément troublée et où souvent le désordre et la confusion des isobares rendent la situation peu intelligible. Les expressions populaires qui s’appliquent aux caprices de l’atmosphère à cette époque de l’année : temps d’équinoxe, temps de semaine sainte, giboulées de mars,

  1. C’était en m’appuyant sur des considérations du même genre que j’avais cru pouvoir annoncer à quelques agriculteurs la sécheresse du printemps de 1870. Cette prédiction fut mise à profit par M. Goussard de Mayolles, qui dirige une exploitation importante à Brizay (Indre-et-Loire). Par l’emploi des engrais les plus solubles, des semis prématurés et d’un tassement considérable du sol à l’aide d’un rouleau de 2,000 kilogrammes, il put faire de ses terres une oasis verdoyante au milieu du désert aride qui l’entourait.