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la porte, et Céline rougit encore; elle était trop heureuse. Elle se représentait par avance l’étonnement des paroissiens. Elle en jouit aussitôt, car l’arrivée de M. Lacoste à l’église sembla si extraordinaire que toutes les têtes se retournèrent.

— Il faut qu’il soit bien malade, murmurait-on. — Le secret de son voyage à Paris n’avait pas été si bien gardé que les voisins n’eussent deviné ou appris la vérité par les domestiques. Quelques paysans libres penseurs qui jouaient au bouchon sur la place pendant le service se moquaient : — Ah! ah! le curé veut que Mlle Céline prenne le voile. C’est un bon héritage pour eux, ajoutaient-ils avec mépris.

La pauvre petite n’y pensait pas. Abîmée dans cette pensée unique qu’elle sauvait l’âme de son père, elle connut plus que jamais les effusions du cœur et les tendresses exaltées de la prière. Si elle était descendue en elle-même, elle aurait frémi de contempler l’étendue et l’ardeur de la passion mystique dont elle jouissait alors avec folie. Le mauvais orgue touché par le maître d’école la transportait. Elle ne savait pas apprécier les nuances des phrases, il lui suffisait qu’un peu d’harmonie enveloppât et caressât son rêve. Sans image distincte des choses, sans raisonnement, elle se perdait dans une délicieuse extase qui lui tirait des larmes. M. Lacoste, lui, ne devinait pas les émotions de sa fille. Tout le temps que dura la messe, il resta debout, les bras croisés. Il ne voyait dès longtemps dans cette cérémonie qu’un frein pour le peuple.

Aussi, le dimanche suivant, ne fut-il pas médiocrement surpris quand sa fille lui fit la même demande, Céline en effet fut imprudente. Elle voyait déjà son père tel qu’elle le souhaitait. Son désir avait été trop aisément réalisé une première fois; elle était d’ailleurs de ces créatures trop violentes pour qui la distance entre le rêve et la vie est toujours un étonnement. Sa mère l’avertit en vain. A la même heure que le dimanche précédent, la fille était devant le père.

— Es-tu prêt pour la messe ce matin? lui demanda-t-elle en souriant.

Il la regarda d’un air indifférent qui la troubla.

— Tu n’as donc pas ta mère?

— Si, mais... — Elle était confondue et n’acheva pas. Elle s’enfuit en pleurant : il n’en fallut pas davantage au père pour comprendre une partie de la vérité. Pourtant cet homme, si intelligent et si habile d’ordinaire, fut trompé par le souvenir des plaisanteries de Voltaire et de Stendhal. Il eut la naïveté de croire sa fille victime d’un complot de prêtres qui la poussaient à le convertir. Il ne vit ni la vraie place ni la vraie profondeur du mal. Il laissa ainsi passer