Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/897

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’ont plus la ceinture de paille. On rencontre quelques chevaux de bât qui portent à Maybashi des fagots ou des bois découpés en planches. Les paysans usent d’une sorte de droit d’affouage et peuvent couper pour eux du bois dans les communaux. Ils en fabriquent divers ustensiles de ménage, surtout ces guettas (chaussures) dont il se fait au Japon une consommation inouïe.

Kirin est la ville manufacturière par excellence : elle représente dans cette contrée à peu près ce qu’est Lyon en France, toute proportion gardée. Ma première visite à Kirin est pour le mia de Ten-jin-Sama, situé à une des extrémités de la ville : c’est un temple sintiste précédé d’une belle avenue de segnis (sorte de cyprès) auquel on a récemment appliqué une construction bouddhiste d’une grande richesse d’ornementation. Les murailles, si l’on peut donner ce nom à des pans de bois, sont couvertes de bas-reliefs sculptés sur bois et coloriés en vermillon et or, représentant des fleurs, des oiseaux, des animaux fabuleux, si nombreux dans la mythologie japonaise. En sortant du temple, je me trouve entouré d’une troupe de 200 ou 300 enfans ébaubis et passablement crasseux, qui me font une escorte respectueuse d’ailleurs, mais singulièrement gênante. J’ai remarqué ainsi que, dans tous les centres un peu considérables, la curiosité était plus vive et plus indiscrète à l’endroit du voyageur étranger que dans les petits hameaux perdus; par quelle raison? c’est ce qu’il est difficile de dire.

Si j’appelle Kirin une ville manufacturière, on comprend bien qu’il ne faut pas y chercher des cheminées de 15 mètres vomissant la fumée, ni des usines vomissant à un coup de cloche quatre ou cinq cents ouvriers ou ouvrières. Une roue de bois à palettes plongeant dans le ruisseau qui court sur chaque bord de la rue centrale et tournant paresseusement au cours de l’eau vous signale un atelier; voilà le moteur. Le premier établissement où j’entre paraît dirigé par une femme veuve ou dont le mari est absent. Au rez-de-chaussée, un atelier de dévidage dont il est inutile de décrire le mécanisme primitif et surtout fort lent; au premier, un atelier de moulinage pour la fabrication de la trame et de l’organsin. Diverses bobines disposées autour d’un cercle de bois horizontal contiennent la soie grège déjà teinte; les fils vont se réunir au centre et se tordent ensemble au moyen d’un mouvement de va-et-vient que l’ouvrier imprime au cercle en pressant du pied une pédale. La patronne, une grosse commère toute ronde, essaie de m’expliquer tout cela d’une voix qui domine le bruit des ateliers; mais je m’enfuis ahuri par le vacarme et asphyxié par la chaleur entretenue à dessein dans la pièce. Dans d’autres ateliers, c’est exactement le même mécanisme.