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cesse de ce capital anonyme qui est entre les mains du public, et qui va où sont les gros bénéfices. En un mot, il faut à la marine du crédit. Le crédit a son rôle séparé dans l’industrie maritime, comme le sang-froid du capitaine, le talent du constructeur, l’habileté de l’armateur ou du négociant. Tour à tour engagé au service de chacun d’eux, il joue un personnage muet qu’on aurait grand tort d’oublier, car il noue et dénoue les entreprises. Par malheur, la France ne connaît point encore tout le parti qu’on peut tirer d’une combinaison financière pour le service de cette industrie. Dès le commencement du siècle, les banques locales se sont effacées devant un établissement tout-puissant, la Banque de France. Obéissant à la loi du monopole et au cours de la politique, l’argent afflue à Paris et se retire des extrémités; mais Paris n’est pas encore un port de mer. Dans les ports, les opérations de banque sont timides. On a cru longtemps que le crédit avilissait les biens sur lesquels il prenait sa garantie; par exemple, l’emprunt sur marchandises fut considéré comme une ressource désespérée. Aujourd’hui encore on entend dire : La situation a été mauvaise ce mois-ci, car on a souscrit beaucoup de warrants. Ce n’est pas seulement la marchandise, c’est le navire qu’on n’osait engager : il est vrai que la loi française ne s’y prête pas encore. Une seule opération paraît productive : ce sont les assurances, dont le bénéfice est aujourd’hui certain. Pourquoi les armateurs laissent-ils échapper ce profit tout clair? Par la puissance de l’association, on a montré que le produit des assurances resterait entre leurs mains, s’ils mettaient en commun les primes qu’ils paient séparément aux compagnies. Un syndicat, choisi par eux, ferait les remboursemens, et, comme le nombre des sinistres est à peu près régulier, le surplus formerait une caisse où ils pourraient puiser. On a calculé que tous les armateurs français, à supposer qu’ils s’entendissent, rentreraient ainsi dans 20 millions, qu’ils versent en pure perte aux compagnies d’assurances.

C’est là un emploi spécial de l’argent : il conserve la valeur du navire; mais avec l’assurance on ne peut ni faire un bâtiment neuf, ni transformer un vieux. Pour cette espèce d’emprunt, l’Angleterre offre des exemples à suivre. D’abord les gros banquiers ne sont pas tous à Londres, il y en a dans les ports, près des chantiers; ils font des avances à la marine. Sans eux, comment Glasgow serait-il un grand marché de navires, toujours approvisionné? Puis les petits capitalistes prennent des parts dans les bâtimens; ils forment une commandite qui, cachée derrière l’armateur, le soutient. Enfin on emploie la forme plus parfaite de la société anonyme, et la mer offre ainsi l’occasion d’un placement populaire. En France, la commandite entre peu à peu dans les mœurs de notre marine, mais à quel prix!