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indique l’activité du débarquement. On pousse avec ardeur et l’on distribue en montagnes ces balles et ces tonneaux, qui n’ont pas encore de destination. Durant le séjour au port, la douane n’a rien perçu, le négociant n’a pas encore gagné, et tout le monde paraît content. C’est que le port possède un entrepôt. L’avantage ne gît pas dans les planches du magasin, il est dans les marques de confiance que les étrangers donnent à ce lieu privilégié. Ils savent qu’ils trouveront là toutes les occasions de vente, que derrière ce port il y a des centaines de manufactures, toujours prêtes à dévorer la laine ou le coton au fur et à mesure des expéditions. Ils savent aussi que les autres peuples, attirés par le mouvement, viendront y chercher les matières dont ils ont besoin. Eux-mêmes n’attendront pas les lentes formalités de la vente pour avoir de l’argent : tandis que les balles reposent en sûreté dans les entrepôts, un papier qui en représente la valeur court de main en main. Dès lors que leur importe de n’avoir pas rédigé d’avance un contrat? Mais à nous il importe beaucoup, car il s’établit ainsi vers nos docks un courant régulier, et c’est un fonds sur lequel la marine peut compter. Elle réglera ses constructions sur le nombre et la nature des marchandises qui entrent chaque année; elle aura des relations fixes avec certains producteurs, et les offres qu’elle fera aux autres seront écoutées. Comment s’acquiert le commerce d’entrepôt? Suffit-il, comme on l’a dit, d’avoir un port bien situé pour le transit et placé sur plusieurs chemins? Cependant Liverpool, qui n’est pas sur la grande route, est le plus bel entrepôt du monde : situé au nord de l’Europe dans une baie écartée, on lui porte du coton des quatre points cardinaux, et il en rend à toute l’Europe. Les Anglais ont forcé un courant qu’ils n’avaient pas reçu de la nature; ils l’ont fait par l’importance de leur industrie, sur laquelle les entrepôts s’écoulent, et par les rapports qu’ils ont avec les pays d’outre-mer. La marine, qui les a conduits à ce haut point de prospérité, en profite aujourd’hui. Demandes répétées, offres soutenues, confiance réciproque, telles sont les assises d’un entrepôt.

Les marchandises qui vont à l’exportation ne séjournent dans les ports que le temps nécessaire à l’embarquement : ce n’est donc pas là qu’il faut les considérer d’abord, c’est à leur source, en remontant les courans qui les apportent. Il y a des règles pour distribuer les marchandises entre les parties du littoral, comme il y en a pour le partage des eaux : la géographie commerciale, fondée sur l’intérêt, ne suit pas toujours les frontières politiques. Beaucoup d’Allemands empruntent la ligne de Nantes pour envoyer aux Amériques, bien qu’ils se soucient fort peu de nous complaire. C’est qu’ils suivent la pente du bon marché. Un tunnel percé, un pont