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coche ou stage à Reno pour me rendre à Virginia-City ; autour de cette ville se développent les plus riches exploitations du Nevada. Reno était alors, et c’est encore aujourd’hui, une des principales stations du chemin de fer Central-Pacifique[1]. Le coche était une sorte d’énorme caisse de bois, aux formes archaïques, portée sur des ressorts de cuir. On entassait en dedans neuf voyageurs; un nombre à peu près égal prenait place sur le devant du véhicule, à côté et au-dessus du postillon. Ce type de voiture monumentale est le vrai coche national américain : il est resté le même depuis le XVIIe siècle, époque où il fut introduit dans le Nouveau-Monde lors de la fondation des colonies anglaises, et on le retrouve encore partout, de l’Atlantique au Pacifique. La ville de Concord, dans l’état de New-Hampshire, s’est rendue célèbre par la fabrication de ces diligences, qu’elle livre presque exclusivement aux maîtres de poste des États-Unis. La voiture dans laquelle nous étions montés était, suivant l’usage, traînée par six chevaux rapides, attelés deux par deux; le postillon les conduisait d’une main assurée, sans jamais user du fouet. Il les interpellait par leur nom quand ils s’oubliaient, et cela suffisait. Il n’y a pas en Amérique, que nous sachions, de société protectrice des animaux; nulle part cependant les animaux ne sont mieux traités. En revanche, il est difficile de voir des chevaux plus doux, plus maniables, que les chevaux américains. Aussi les accidens de voiture sont-ils assez rares malgré l’aveugle témérité dont on fait preuve presque partout.

« All aboard for Virginia-City, tout le monde à bord pour Virginia-City ! » Dès que ces paroles ont été criées par le contrôleur de la diligence, chacun est monté en voiture. On appelle les voyageurs, qui paient leur place, et fouette, cocher! En deux heures, nous franchissons les 16 milles qui nous séparent de la capitale des mines d’argent. Le terrain tout le long de la route est triste et désert. Le chemin est ouvert à l’américaine, sans avoir été d’avance nivelé et régulièrement mesuré. La route est plus ou moins large, suivant les besoins ; lorsqu’il y a trop d’ornières d’un côté, on passe de l’autre. Les cahots vont leur train; on est bousculé, projeté les uns sur les autres, et l’on n’en rit que plus volontiers.

Sur toute l’étendue du parcours, on aperçoit à peine deux ou trois fermes. L’une d’elles sert de station ou de maison de poste : c’est là qu’on relaie. Le sol autour est ondulé, moutonnant, formé de coteaux qui se succèdent et s’alignent sur des directions transversales à la route. La terre est grisâtre, privée d’eau, divisée en grosses mottes aux points où elle a été labourée. On y sème du blé, du maïs; mais les récoltes sont pauvres, car on n’use pas d’engrais. Le climat est

  1. Un embranchement de voie ferrée unit maintenant Reno à Virginia-City.