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sistance qu’il a rencontrée, a senti la nécessité de réparer les pertes qu’il a faites avant de recommencer l’action ; il s’est arrêté pour donner du repos à son armée, et même après ces quelques jours de repos employés à préparer un nouvel assaut par la canonnade, les troupes auront encore une rude besogne à faire, d’autant plus que les carlistes ont mis de leur côté le temps à profit en développant leurs défenses, en s’assurant des positions nouvelles, s’ils venaient à perdre le mont Abanto. Jusque-là on s’observe ; mais c’est ici que la situation commence à devenir étrange et énigmatique.

Que signifie cette trêve ? Que se passe-t-il autour de Bilbao ? Le fait est que les deux armées, après s’être battues avec acharnement, en sont à entretenir des rapports presque familiers. Des chefs carlistes vont au camp de Serrano, des chefs libéraux vont au camp carliste. Il n’en a pas fallu davantage pour qu’on parlât de paix et d’un nouveau convenio à l’instar de celui de Vergara, qui mit fin à la guerre de sept ans en 1839. Si on en parle tant, c’est qu’on le désire sans doute. Seulement les circonstances ne sont plus ce qu’elles étaient en 1839. Alors il y avait au-delà des Pyrénées un gouvernement régulier, une jeune reine représentant tout à la fois le droit monarchique et le libéralisme, une armée nombreuse et fortement organisée. Aujourd’hui les soldats de Serrano, tout en se battant vaillamment, ne savent pas pourquoi ils se battent ; ils le disent eux-mêmes, ils n’ont pas de drapeau. Leur chef ne représente rien, et tient son pouvoir du coup d’État qui le lui a donné. Sur quelles bases un convenio ? Une circonstance pourrait peut-être favoriser quelque combinaison de ce genre, c’est qu’il y a au camp du prétendant beaucoup d’officiers de l’ancienne armée qui sont plus alphonsistes que carlistes. Encore faudrait-il avoir un drapeau à leur offrir pour les attirer, pour les détacher d’une cause qui n’est rien moins qu’abattue, d’une armée qui vient de montrer sa valeur.

Tout cela est profondément mystérieux. Autre fait : pendant qu’on se bat ou qu’on fraternise dans les gorges de la Biscaye, ce ne sont à Madrid qu’intrigues, agitations intimes, conflits d’influence dans le ministère. Républicains, radicaux, libéraux, monarchistes, sont en rumeur, et Serrano paraît avoir quitté son camp de Somorostro pour se rendre à Madrid en laissant le commandement de l’armée au général Manuel de la Concha, qui passe pour alphonsiste. Est-ce le prélude d’une reprise des hostilités ou le prologue de quelque coup de théâtre nouveau ? Quel est le mot de cette énigme ? L’Espagne en est là aujourd’hui, en attendant ce qu’elle sera demain.

CH. DE MAZADE.


Le directeur-gérant, C. Buloz.