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et le Turkestan oriental, il y a trois routes : l’une par l’Afghanistan et le plateau de Pamir ; la seconde franchit la chaîne du Boulor-Tagh par la vallée de Ghilgit, qu’habitent de farouches descendans du peuple aryen ; la troisième, qui est la plus fréquentée, passe plus à l’est. De Leh, elle se dirige vers l’un des cols du Karakorum et redescend à Yarkand par la vallée du Karakach ; mais, de même que les précédentes, elle se maintient à 5,000 mètres et plus au-dessus du niveau des mers sur une très grande longueur ; elle traverse des déserts où les caravanes ne rencontrent dix jours durant ni habitations, ni vivres, ni même de fourrage pour les bêtes de somme. Les frères Schlagintweit ont dépeint l’effet que produisent ces altitudes extrêmes sur le corps humain. L’être le plus robuste sent ses forces s’évanouir : oppression, migraine, saignemens de nez, absence d’appétit, tels sont les principaux caractères de la singulière maladie à laquelle l’homme est enclin sur les hautes montagnes. Malgré ces obstacles naturels, le commerce de la Kachgarie avec l’Inde a toujours eu quelque activité, parce que ce royaume intérieur, quoique peu peuplé, possède plusieurs grandes villes, qu’il n’a aucune sorte d’industrie et que l’on n’y récolte que les fruits d’un climat tempéré. A l’époque de la domination chinoise, on faisait par cette voie la contrebande de l’opium. L’insurrection des Tounganes et les guerres intestines qui vinrent ensuite firent baisser le chiffre des transactions. Depuis 1870, la valeur annuelle des marchandises échangées est d’environ 3 millions de francs, ce qui correspond à peu près au chargement de 2,500 bêtes de somme. Si insignifiant que soit ce trafic en comparaison de l’immense commerce qu’alimentent les vallées du Gange et de l’Indus, les Anglais pensent avec raison qu’il ne faut pas le négliger, d’autant qu’ils n’ont pas d’autre moyen d’acquérir une certaine influence dans l’Asie centrale.

Peu de temps après que Yacoub eut triomphé de ses rivaux, deux Anglais, MM. Shaw et Hayward, se rendirent à Yarkand ; ils y furent bien accueillis, non point sans défiance, car on ne leur permit de faire aucune excursion aux alentours de cette ville. Ces voyageurs confirmèrent les récits, déjà parvenus par des voies indirectes, qu’un nouvel empire musulman se consolidait au-delà des montagnes, que les Chinois en avaient été expulsés et que le vainqueur était maître du Turkestan tout entier, depuis le Kouenloun jusqu’au Thian-shan. Au surplus l’athalik-ghazi ne dédaigna point de faire une avance à l’Angleterre. Vers les derniers jours de 1869, on vit arriver à Lahore un ambassadeur de ce conquérant avec des lettres pour le lieutenant-gouverneur, pour le vice-roi et même pour la reine Victoria. Comme on doit s’y attendre, lord Mayo, fidèle à la politique de son prédécesseur, reçut froidement cet envoyé,