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levant et s’agenouillant tour à tour devant l’autel muet. Le soir du même dimanche, j’appris que la masure qui servait de chapelle menaçait ruine, et que, de crainte d’un accident, le commandant militaire avait résolu de n’y plus laisser aller ses soldats. Cette chapelle sur le point de crouler et cette messe sans prêtre me parurent alors un symbole de la situation de l’église catholique en Russie en même temps que de la foi de ses enfans. Cette impression était exagérée, la semaine sainte à Moscou vint heureusement bientôt la corriger. Pour peu qu’ils soient nombreux, les catholiques ont dans le centre même de l’empire, à Moscou par exemple, des églises convenables et parfois de brillans offices. A travers la tristesse qui peut venir l’assaillir en Russie, le catholique ne doit pas oublier qu’en des pays où les lois et les mœurs semblaient lui garantir plus de liberté, l’église en a dans ces derniers temps trouvé moins. Au milieu de la crise religieuse actuelle de l’Europe, le catholique comme le libéral doit savoir gré à la Russie qu’avec de plus sérieux motifs de défiance et un pouvoir plus discrétionnaire elle n’a pas dans sa conduite vis-à-vis du clergé catholique poussé l’usage de la force aussi loin que plusieurs gouvernemens, de l’Occident. L’autocratie s’est montrée moins intolérante que certaines démocraties. S’il y a encore chez les Russes quelques évêques internés, quelques diocèses privés de leurs pasteurs, le motif en est plutôt politique que religieux ; il est ayant tout national.

La situation des différens cultes en Russie ne dépend pas uniquement de leur attitude vis-à-vis de l’autocratie ; elle dépend non moins de leur relation avec la nationalité russe. Si, en étant moins nationaux, les cultes dissidens semblent moins exposés que le culte dominant aux immixtions ou à la tutelle du pouvoir civil, ils ne trouvent point dans le respect du peuple ou dans les traditions du pays la même protection. L’église russe n’est pas seulement, comme l’église anglicane, une église d’état, c’est une religion nationale tellement liée par l’histoire et les habitudes à l’existence de la Russie qu’en dehors d’elle il semble qu’on ne puisse être Russe. C’est là une des difficultés, une des faiblesses de l’empire. On connaît la devise de l’empereur Nicolas : « autocratie, orthodoxie, nationalité. » Ces trois termes, les deux derniers surtout, ont en effet été étroitement soudés, et à bien des égards résument encore la politique de Moscou, si ce n’est celle de Pétersbourg. Le gouvernement élève aux plus hauts emplois des hommes de toute confession ; pour lui, comme pour le peuple, l’orthodoxie n’en est pas moins le plus sûr garant de patriotisme ou de loyalisme. À ce point de vue, la Russie s’est, sans bien s’en rendre compte, laissé entraîner à suivre l’exemple de Byzance, qui de la foi orthodoxe avait fait le principal lien de l’empire grec. Elle se trouve encore à un certain degré dans