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que donnent les costumes. Et quelle entente de la composition ! quelle savante audace à négliger les lignes trop bien pondérées ! Ici un groupe compacte, là un cadavre étendu tout raide au pied d’un lit. Nul souci du vide, et la scène émeut d’autant plus qu’elle paraît moins arrangée pour émouvoir. C’est le secret heureusement trouvé et sans emphase par un artiste qui était non pas seulement expert dans toutes les parties nécessaires, mais encore quelque chose de plus qui ne gâte rien, un homme d’esprit et un lettré.

Peu d’artistes ont eu le privilège de ne compter que des partisans. Bien que l’originalité soit un mérite difficile à porter, Decamps sut conquérir dès ses débuts des admirateurs qui lui demeurèrent toujours fidèles et qui n’ont pas laissé baisser sa renommée. Cette faveur s’explique : quoiqu’il ait eu, lui aussi, ses heures de témérité, il se garda bien de heurter ouvertement les conventions que le public aimé à voir respecter ; il fit en tout temps, plus adroitement que certains combattans de l’école nouvelle, la part du bon sens. Dessinateur, son crayon reste fidèle à la vraisemblance et sans affectation, il montre pour l’antique une déférence presque toujours profitable. Coloriste, s’il couvre sa toile de tons ardens, on voit que son interprétation de la nature saurait trouver, si on le pressait, des exemples et des justifications. C’est un révolutionnaire peut-être, mais un révolutionnaire à qui l’on pardonne à cause de sa modération. Il ne fait pas de la couleur pour la couleur, et, par des concessions qui protègent son indépendance, il persuade au spectateur que, s’il fuit les sentiers battus, c’est pour être plus sûr de se rencontrer avec lui. Le pittoresque lui plaît, mais il le recherche loyalement, et il ne prétend pas se séparer du passé en essayant d’être nouveau. S’il redemande à la Bible des sujets qu’il est permis de rajeunir, s’il entreprend de redire l’histoire de Rébecca ou celle de Joseph, les acteurs du drame sacré sous le burnous de l’Arabe moderne gardent une tournure antique ; ces libertés qu’il prend avec la tradition ne ressemblent pas à un défi irrespectueux. C’est la vulgarité mise sciemment sur des traits dont la vénération des siècles a consacré la forme idéale et définitive qui déshonore le personnage saint, non le vêtement du chamelier qu’on jette sur ses épaules. En véritable peintre d’histoire, Decamps n’insiste pas sur le type, il le généralise pour laisser à la scène l’intérêt qui doit dominer le détail. Comme Poussin, il cherche l’expression par le mouvement et la grâce par la silhouette ; Comme lui encore, il aime le paysage, mais non pas le paysage sans forme de la campagne nourricière. Ce qu’il va étudier au loin, ce qu’il inventerait au besoin, ce sont ces grandes lignes désordonnées, ces longues murailles blanches aux voûtes sombres et les nuages chargés de