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plaindre de ce qui est arrivé. Il est donc permis de chercher dans la littérature le retentissement de ce fait singulier, nouveau dans les annales du monde, l’entrée de l’Italie dans Rome, sans embrasser la cause d’aucun parti, comme on étudie un fait historique en vue de satisfaire une curiosité désintéressée. « A Rome ! à Rome ! » criait la jeunesse italienne ; il semble qu’elle devrait aujourd’hui se tenir pour satisfaite. On n’a pas démoli le Vatican, comme le poète l’avait prophétisé ; mais le roi tonsuré, dont elle ne voulait plus, est tombé du trône ; les pieds ornés d’une croix brodée ne font plus courber les têtes sur la rive du Tibre affranchi. De tant de grandeur, il ne reste que la mélancolie du souvenir et le caractère indélébile du pontificat. Cependant, comme si la démocratie italienne n’était pas contente de ce qu’elle a fait, elle se plaint de ce que l’œuvre n’est pas achevée, ou de ce qu’elle ne l’a pas été comme elle le voudrait. Il lui fallait Rome, elle la possède, mais elle n’est pas flattée de la manière dont elle est entrée en possession. Elle voulait de l’éclat et de la gloire ; elle entendait emporter de haute lutte ce que la destinée est, pour ainsi dire, venue mettre à ses pieds. Ce triomphe ne lui paraît pas assez romain, on n’a pas vu défiler le cortège des armées vaincues, des villes prises, des rois captifs. Il y a quelque chose qui manque à ses désirs dans les conquêtes de l’Italie moderne, ou plutôt il y a quelque chose de trop dans les institutions italiennes et qui déplaît à ses ambitieux souvenirs.

Si nous étions les ennemis de la cause italienne, nous aurions lieu de nous réjouir à la lecture d’un morceau des Nouvelles Poésies, dernier recueil publié par Enotrio Romano, puisque c’est là le pseudonyme favori adopté par M. Carducci : sous ce nom symbolique, assez semblable à ceux qu’inventait l’érudition ingénue des académiciens d’autrefois, il a voulu représenter sans doute ses convictions d’Italien pur et de Romain déterminé. Cette curieuse pièce est une de ces épodes ou compositions à la fois satiriques et lyriques où l’auteur réussit ; elle porte le titre de Chant de l’Italie montant au Capitole. Sans doute, l’entrée du gouvernement italien à Rome n’a pas eu les proportions du grand triomphe, ni même de l’ovation moins solennelle ; mais la moquerie traditionnelle mêlant sa voix aux acclamations n’a pas fait défaut. Grâce à M. Carducci, les triomphateurs auront été avertis de la nécessité d’être modestes ; ceux qui ont vu avec quelque peine la promptitude avec laquelle les Italiens occupaient la place que nous ne défendions plus trouveront une petite vengeance innocente dans les vers de M. Carducci. Je doute d’ailleurs que le poète ait songé à eux, et c’est ce qui rend ce morceau plus piquant.