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résumer ces impressions diverses pour en extraire une opinion précise sur le caractère de l’art contemporain ou un jugement arrêté sur son avenir, nous tombons dans l’incertitude et dans la confusion. Au milieu de tant de systèmes opposés, de tant d’écoles différentes, dans ce chaos de vulgarités prétentieuses et de banalités estimables, où perce à peine de loin en loin un talent vraiment original, on se demande à qui l’on doit croire. Le bien et le mal se mêlent si étrangement, les traditions durent si peu de temps, les nouvelles écoles sont si vite florissantes et si vite frappées de stérilité, que parfois il est difficile de dire de quel côté est la décadence et dans quel sens est le progrès. La mobilité, l’incohérence, l’indiscipline, le charlatanisme, le défaut de fixité dans les traditions et dans les doctrines, paraissent être le seul caractère de l’art contemporain, comme ils sont, à ce qu’on assure, celui de la société contemporaine.

Ne nous arrêtons pas à ces apparences décourageantes. Au fond, la critique d’art n’a jamais été plus intéressante que dans ce moment de crise où l’art se disperse dans tous les sens, à la recherche d’un progrès encore inconnu. Ses entreprises même les plus infructueuses et les plus téméraires, ses tentatives de renouvellement ou de résurrection les plus malheureuses, ses affectations exagérées d’indépendance à côté de ses imitations serviles, ses essais de brutalité révolutionnaire et ses réactions froidement dogmatiques, tous ces efforts désordonnés pour s’ouvrir des horizons nouveaux, toute cette agitation un peu anarchique et jusqu’à présent assez stérile, y ajoutent au contraire un intérêt de plus : elles éveillent la curiosité, elles ouvrent la porte à l’espérance ; elles montrent dans tous les cas l’inquiétude qui travaille nos artistes, le désir du mieux qui les tourmente et qui parfois les égare. Nous parviendrons peut-être à démêler, par une attentive observation des faits, quelle est aujourd’hui celle des branches de l’art qui résiste le mieux à la mauvaise influence des mœurs, et à laquelle nous devons attacher nos dernières espérances d’avenir.


I

Il ne faut pas se le dissimuler, la civilisation moderne n’est pas un milieu favorable à l’éclosion du grand art. Il y a longtemps qu’on se demande à quoi tient sa décadence et qu’on avise pédantesquement aux moyens de le faire refleurir. On a pour cela des recettes particulières, des procédés de culture infaillibles, et l’on s’en prend à l’administration, comme si elle pouvait faire des miracles. Si le grand art dépérit, c’est qu’il n’y a pas de grandes idées pour le nourrir, c’est que les dehors vulgaires, les habitudes frivoles