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se régénérer sous peine de périr ; mais cette régénération, où la trouver ? Dans le style, éternel réservoir des forces vives et naturantes. La partition de Faust n’est à mon sens que la démonstration de cette vérité, et par là seulement elle a prévalu. Au point de vue dramatique, l’œuvre ne soutient pas la discussion : comparé au théâtre de Meyerbeer, ce théâtre est de l’art enfantin ; mais remarquez un peu, s’il vous plaît, quelle langue parle ce méchant drame, suivez cette mélopée du troisième acte, où se mêlent en nuances exquises les tons les plus divers de la palette. C’est de la symphonie, j’en conviens, mais quelle main savante et discrète ! Je sais tout ce qu’il y a de maniérisme dans cet art, je fais aussi la part des réminiscences, il n’importe, ce Campo-Santo m’attire parce qu’il est peuplé ; comme dans ces visions chimériques, où foisonnent les héros et les walkyries, je retrouve, je vois flotter les spectres de toutes les idées, les ombres de tous les grands chefs reconnus ou discutés : voici Meyerbeer, Hérold, Spohr, Richard, Wagner, et jusqu’à ce nostalgique Chopin, dont nul encore n’avait songé à réveiller la note endolorie. — Réductions tant qu’on voudra, ces réductions-là ménagent une transition, elles accoutument, charment et circonviennent le public, que les trop brusques secousses déconcertent, et servent, au progrès d’une réforme bien autrement que les harangues tapageuses des sectaires. En ce sens, M. Gounod a tiré du wagnerisme tout ce qu’il avait de bon à nous donner, et j’étonnerai peut-être certains groupes en leur apprenant que, même sur le terrain de la mélodie continue, le chercheur délicat, le styliste convaincu est allé plus loin que le fameux oracle de Bayreuth[1].

Pourquoi dès lors l’Opéra-Comique n’appartiendrait-il pas à M. Gounod comme il appartint jadis à M. Auber ? Chaque auteur de renom, par le temps qui court, a son théâtre. Alexandre Dumas fils règne au Gymnase, M. Sardou dispose seul de la scène du Vaudeville. Rien n’empêche que la salle Favart ne se mette à son tour sous l’invocation de M. Gounod. L’ancien répertoire, veut être remisé, Joconde ne fait plus d’argent, le Pré aux Clercs, Zampa, la Dame Blanche, montrent la corde. Derrière M. Gounod et Verdi, il n’y a plus à compter que sur les jeunes, car parler de M. Thomas serait encore parler de M. Gounod, l’auteur d’Hamlet, comme on l’appelle quand on ne l’appelle pas « le chef de l’école française, » ayant passé sa vie à subir toutes les influences dominantes : influence d’Auber dans Mina, d’Hérold et de Weber dans le Songe d’une Nuit d’été, de Donizetti dans le Caïd, et de M. Gounod dans Mignon.

Un livre d’enseignement à rarement la bonne fortune de réussir d’emblée, surtout lorsqu’il s’adresse à des lecteurs à demi informés, et qui, sous prétexte qu’ils sont des professeurs ou des artistes, croiraient déchoir en ouvrant jamais une grammaire. J’ignore si les découvertes

  1. Voir dans la deuxième messe chorale de Gounod ce rhythme qui se termine sur un accord étranger à la note finale.