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des causes, en un mot le retour au principe cartésien avec cette différence, que ce qui n’était chez Descartes qu’hypothèse et construction a priori, divination du génie, s’appuie aujourd’hui sur l’expérience et le calcul, sur les méthodes les plus fines et les plus profondes.

On a cent fois décrit depuis quelques années ce grand mouvement de la science moderne, qui depuis Ampère jusqu’à nous a emporté les esprits dans la voie de l’unité, comme nos pères l’avaient été dans la voie de la diversité : Ampère et Faraday ramenant l’électricité et le magnétisme à un même agent, à des lois identiques, et les transformant l’un dans l’autre ; Yung et Fresnel donnant définitivement l’avantage à l’hypothèse de Descartes et de Huyghens sur celle de Newton, et réduisant la lumière à un mouvement ondulatoire de ce que Descartes appelait la matière subtile, et que nous appelons éther ; Melloni et ses successeurs reproduisant sur la chaleur toutes les expériences faites sur la lumière, et trouvant partout des résultats identiques ; enfin Joule, Mayer, Clausius, déterminant avec une précision mathématique le parallélisme de la chaleur et du mouvement, et leur équivalent par une quantité constante. A mesure que ces rapports merveilleux se faisaient découvrir, l’esprit des savans s’éloignait de plus en plus du polythéisme scientifique de l’âge précédent. Ce ne fut pas du premier coup que cette révolution philosophique s’accomplit ; il fallût que l’esprit s’y habituât peu à peu. D’abord on parla de corrélation des forces, puis de transformation des forces ; on arriva enfin à prononcer le mot d’identité. Une fois dans cette voie, l’imagination ne devait plus reconnaître aucun frein, et, de réduction en réduction, il fallut que tout fût identique, uniforme, tant il est facile Et séduisant de ramener tout à tout, tant cette formule est commode pour tout savoir sans avoir appris ! Une fois lancée dans l’opinion publique, une telle hypothèse offrait trop d’avantages à la demi-science pour qu’elle ne devînt pas populaire. Les vrais savans s’en tenaient à ce qui était démontré, et évitaient d’aller au-delà ; mais les savans qui se piquaient de philosophie et les philosophes qui se piquaient de science allaient jusqu’au bout, et ne voyaient plus dans l’univers tout entier, y compris le monde de la vie, de la liberté et de la pensée, qu’un grand phénomène de mouvement.

Quoi qu’il en soit de ces exagérations, qui n’appartiennent qu’indirectement à notre sujet, ce qui était rigoureusement démontré suffisait pour établir que des causes longtemps présumées différentes étaient essentiellement identiques, d’où l’on pouvait au moins conjecturer sans contradiction que les autres causes, jusque-là réfractaires à toute identification, pourraient se réduire et se confondre ultérieurement. Ce qu’on appelle causes ou forces dans les