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Est-ce à dire que depuis Auguste il n’y en ait plus eu de malhonnêtes? Il serait insensé de le prétendre. Pour ne pas sortir de la province d’Asie, dont nous nous occupons en ce moment, on raconte qu’un de ses gouverneurs, Messala Volesus, fit un jour décapiter à la fois trois cents personnes et qu’il se promenait fièrement entre tous ces cadavres étendus en disant : « Quelle action de roi ! » Et Volesus n’était pas tout à fait une exception ; Tacite et Pline nous le montrent. Il y avait donc encore des Verres sous l’empire, seulement il y en avait moins. Une différence surtout est remarquable entre les deux régimes : tandis qu’autrefois les tentations étaient si fortes, le contrôle si léger, l’opinion publique si indulgente, que les gens les plus honorables, comme Brutus, se permettaient sans scrupule toute sorte d’exactions envers les provinciaux, on vit souvent au contraire, pendant l’empire, des personnages, vicieux et corrompus tant qu’ils restaient à Rome, devenir intègres, actifs, désintéressés, quand on les envoyait dans les provinces, et les gouverner honnêtement. Ce voluptueux Pétrone, qu’on avait appelé l’arbitre du bon goût et le maître de l’élégance, qui ne semblait occupé que du plaisir, qui en avait fait une science raffinée, et qui chercha la volupté jusque dans la mort. Tacite nous dit que dans son gouvernement de Bithynie « il s’était montré vigilant et tout à fait à la hauteur des grandes affaires. » Il en fut de même d’Othon, le confident et le complice de toutes les débauches de Néron, qui poussa la complaisance jusqu’à lui céder si galamment sa femme, qui, la veille du meurtre d’Agrippine, avait donné à toute la cour un grand dîner pour dissimuler les apprêts du crime ; « il gouverna la Lusitanie pendant dix ans avec une sagesse et une intégrité remarquables. » Vitellius lui-même, qui fut un si détestable empereur, avait commencé par être un excellent gouverneur de l’Afrique.

Il faut dire qu’il n’était pas facile alors de se conduire autrement : les princes y tenaient la main, et les mauvais autant que les bons. Auguste et Trajan ne s’en occupaient pas avec plus de zèle que Tibère et Domitien. Un historien peu suspect dit même de ce dernier qu’il punissait avec tant de rigueur les magistrats coupables, « qu’on n’en vit jamais de plus honnêtes et de plus justes que sous son règne. » Cette surveillance active et sévère a dû beaucoup diminuer les abus; je ne veux pas dire assurément qu’elle les ait tout à fait supprimés. Il se commettait encore beaucoup d’excès, surtout dans les pays nouvellement vaincus, qui étaient soumis au régime militaire et où les soldats se croyaient tout permis. C’est ce qui arriva notamment dans la Bretagne, et l’on sait que les armées de Claude l’avaient vigoureusement pillée après l’avoir vaillamment conquise. Le discours que Tacite fait tenir au chef breton Galgacus