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statues dans les temples et à les adorer à côté de celles des dieux. Pourquoi aurait-on hésité à le faire? En général, les provinces ne connaissaient les empereurs que par leurs bienfaits. On n’avait pas entendu parler en Judée des cruautés de Tibère, et l’on regardait son règne comme aussi heureux que celui d’Auguste, quand on envoya Philon en ambassade auprès de Caligula. « Les bons princes, dit Tacite, font du bien au monde entier, les mauvais font surtout du mal autour d’eux. » C’est ainsi que, pendant les momens les plus tristes de l’empire, hors de Rome, on vivait tranquille. On jouissait partout le plus agréablement possible des loisirs que faisait l’autorité impériale. La littérature était cultivée avec passion. Il nous reste un décret d’une ville de Carie en faveur d’un littérateur romain qui avait bien voulu faire des lectures publiques et solennelles de ses ouvrages. On le remercie « d’avoir charmé les gens âgés et instruit les jeunes; » on le comble d’honneurs de tout genre, on lui accorde le droit de cité, on place ses livres dans les bibliothèques publiques et sa statue près de celle du vieil Hérodote.

Parmi les divertissements publics, le théâtre tenait surtout une grande place. Jamais les jeux n’ont été plus nombreux qu’à cette époque : on conserve pieusement les anciens et l’on en imagine tous les jours de nouveaux en l’honneur des princes morts ou vivans. Les grandes corporations d’acteurs établies dans les villes les plus importantes étaient sans cesse occupées à envoyer des troupes dans des villages inconnus et même dans des pays barbares pour y donner des représentations comiques ou tragiques, des concours de musique et de poésie[1]. C’étaient de grandes fêtes, attendues avec impatience, célébrées avec solennité, et quand elles étaient finies la reconnaissance publique accablait les acteurs qui avaient mieux réussi que les autres de toute sorte de distinctions et de récompenses. On leur accorde des couronnes, des gratifications, des titres honorables, on leur élève même des statues avec des inscriptions où l’on glorifie leur honnêteté et leur talent (propter singularem artis prudcntiam et morum prohitatem). Toutes les villes de l’Asie possédaient alors de somptueux théâtres; on en retrouve des ruines imposantes jusque dans les plus pauvres bourgades, et ces ruines ne sont pas les seules que le temps ait conservées. Les voyageurs qui parcourent aujourd’hui ces contrées misérables sont surpris d’y rencontrer à chaque pas des débris de temples, de palais, de

  1. Si l’on voulait savoir de quelle façon étaient organisées ces corporations d’acteurs, connaître leur importance, les lieux où elles résidaient, les statuts qu’elles s’étaient donnés, leur manière de traiter avec les villes qui les réclamaient et les honneurs qui leur étaient accordés, on n’aurait qu’à lire un fort intéressant mémoire que vient de publier M. Foucart sous ce titre : de scœnicis Artificibus apud Grœcos.