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velles ressources pour armer plus de 600,000 hommes. Dans le dénûment le plus complet de nos arsenaux, dans la pénurie presque aussi grande des magasins et de l’industrie privée, où prenait-elle des armes, des canons ? qui lui fournissait les élémens multiples de ses incessans efforts ? de quel prix les payait-elle ? Chose étrange, dans cette crise où tout semblait devoir nous manquer, telle fut la sécurité de notre commerce maritime que partout, dans tous les ports, nos navires marchands poursuivaient leurs opérations sans que les frets d’assurance fussent sensiblement accrus, et que, grâce à cette sécurité, l’Angleterre, les États-Unis, le monde entier concourait à cette œuvre de la défense nationale, d’où la France a pu sortir matériellement amoindrie, mais par laquelle elle a sauvé le bien suprême, l’honneur.

Soudain un cri d’alarme retentit qui vient troubler cette sécurité, dissiper cette confiance, alors peut-être une de nos plus grandes forces : un croiseur allemand a surpris à quelques lieues d’un de nos ports de guerre un petit navire de l’état qui de Rochefort se rendait à Bordeaux ; ce croiseur s’est montré à l’embouchure de la Gironde et y a signalé son passage par d’autres prises. Que font donc nos bâtimens de guerre, et nos escadres ont-elles levé le blocus des côtes ennemies ? — Nos croiseurs étaient toujours à leurs postes, sur toutes les grandes routes de l’Océan ; le blocus des côtes allemandes était aussi serré, aussi effectif qu’aux premiers jours ; seulement l’audace, la confiance, avaient chez quelques-uns de nos adversaires remplacé la réserve, la défiance, que tous avaient jusqu’alors montrées, et l’Augusta parcourait librement l’Océan. Que l’habileté, l’expérience de son capitaine, fussent à la hauteur de la résolution qui semblait l’inspirer, qu’à l’exemple du capitaine Semmes il prît hardiment la haute mer, et l’Augusta devenait pour nous ce que fut l’Alabama pour le commerce des États-Unis. Une dernière faveur de la fortune pour notre marine militaire permit à deux de nos croiseurs de surprendre et de bloquer l’Augusta dans le port neutre de Vigo jusqu’à la conclusion de la paix ; mais l’exemple était donné, et il aurait été suivi, si la guerre s’était prolongée, car désormais la preuve était faite de l’impuissance de notre marine à maintenir le blocus des côtes allemandes.

Depuis cette époque, les vitesses obtenues même sur les plus petits navires ont encore grandi : de simples yachts de plaisance ont filé plus de 16 nœuds. Ces vitesses, mises au service de l’audace et de l’habileté, ne triompheront-elles pas encore plus facilement que par le passé de la surveillance d’une escadre ennemie ? Une tempête forçant cette escadre à prendre le large, une journée de brume, une nuit sombre, ce serait assez, quand bien même les exigences qui