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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/212

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exempt des gardes du corps fut envoyé pour réclamer les deux femmes; mais le marquis refusa de les rendre, et pour se montrer, malgré son refus, sujet fidèle, il alla volontairement se constituer prisonnier à la Bastille. Cet acte de prévenance et de soumission envers l’autorité royale, le crédit de la famille aidant, fut récompensé par des lettres de grâce.

A côté des nobles figurent un assez grand nombre de magistrats, juges ordinaires ou présidens des sièges royaux. Ils sont transférés dans la vieille forteresse « pour s’être emportés contre les ordres de sa majesté, » quelquefois même pour s’être mis à la tête des révoltes populaires, comme les présidons de Cormis et de Bras, du parlement d’Aix, lors de l’assassinat de l’avocat-général de Chasteuil. Louis XIV, tout absolu qu’il fût, était fort mal obéi dans les provinces; son autorité se faisait à peine sentir aux extrémités du royaume, comme on le voit par les grands jours de Clermont pour l’Auvergne, par l’unîon des paroisses du pays d’Armorique pour la Bretagne, et plus on s’éloignait de Paris, plus elle allait en s’affaiblissant; mais à Paris même elle s’exerçait sans contrôle et sans limites. Tout pliait si bien devant elle qu’elle ne rencontrait ni résistance ni protestations, et c’est là ce qui explique comment, dans la première moitié de son règne, on ne trouve à la Bastille qu’un très petit nombre d’individus incarcérés pour cause politique. Parmi les détenus figurent des officiers qui ont refusé de rejoindre leur régiment, des fous, comme Mlle de Velizy, qui avait voulu étrangler le président de Mesmes, qu’elle traitait de mauvais juge, des poètes insolens, des gazetiers que l’on retenait un ou deux mois parce qu’ils avaient publié quelques fausses nouvelles, « sans mauvaise intention et pour gagner leur vie, » des huissiers du parlement qui s’étaient permis d’afficher des arrêts contraires aux déclarations du conseil du roi. L’ère des persécutions n’est pas encore ouverte; on arrête bien de temps à autre quelques écrivains jansénistes, mais on ne les garde pas longtemps sous les verrous ; on se contente de les admonester en leur faisant promettre d’être sages, et la seule affaire grave, au point de vue religieux, qui se rencontre de 1663 à 1678 est celle de l’illuminé Simon Morin.

Le II mars 1662, on inscrivait sur le registre d’écrou Morin et sa femme, et peu de temps après Morin fils, Raudom et Thomé, prêtres, Poitou, maître d’école. Quel était leur crime? Un poète, membre de l’Académie française, auteur du madrigal de la Violette et de la comédie des Visionnaires, Desmarets de Saint-Sorlin, les avait accusés de « former une cabale tendant au renversement de la foi. » Il avait, disait-il dans une dénonciation adressée à divers évêques et au père Annat, confesseur de Louis XIV, rencontré par hasard