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dans le donjon de Pignerol, place forte des états sardes qui avait été réunie à la France en 1630 et qui resta française jusqu’en 1696, Il y mourut en 1680. La chambre de l’Arsenal ne se borna point à instrumenter contre Fouquet, elle fit remonter les recherches jusqu’à l’extrême limite de la prescription trentenaire, c’est-à-dire Jusqu’en 1630, et l’on reste frappé d’étonnement en voyant à quel degré d’immoralité l’administration française en était venue sous la régence d’Anne d’Autriche, car la chambre de l’Arsenal put constater qu’en six ans, sous l’administration de Mazarin, le trésor avait été fraudé de 380 raillions, sur lesquels elle en fit à grand’ peine restituer 25.

Louis XIV avait donc strictement accompli son devoir de chef d’état en faisant poursuivre Fouquet et tous ceux qui avaient comme lui dilapidé les deniers publics. Malheureusement il portait l’arbitraire jusque dans la justice : au lieu de confier la procédure au parlement, auquel elle appartenait de droit, il en chargea des magistrats appelés de tous les points de la France et qu’il désigna d’office, parce qu’il les savait hostiles à l’accusé. L’illégalité était flagrante, elle a entaché l’arrêt, et c’est pourquoi l’histoire, en condamnant le surintendant, n’a point complètement absous le roi.

On pouvait croire qu’un si grand exemple couperait court aux abus, et cependant nous voyons, même sous Colbert, les agens du fisc arriver en foule à la Bastille. La cour des aides et la chambre des comptes, fidèles aux principes de probité dont elles ne se sont jamais départies, leur intentaient de sévères poursuites: mais les habitudes de malversation étaient tellement enracinées qu’il était très difficile de les faire entièrement disparaître. Les dépenses de la maison du roi, les frais de guerre, la vicieuse répartition des impôts par suite des privilèges des castes, des provinces, des villes et des individus, occasionnaient de graves embarras financiers que les détournemens frauduleux aggravaient encore. Cette redoutable question : il faut de l’argent, se présentait sans cesse, et pour en trouver le gouvernement eut recours en diverses occasions à des moyens dont l’étrangeté dépasse de beaucoup la création des contrôleurs de perruques et des inspecteurs aux empilemens de bois flotté. En voici un exemple tiré de l’histoire même de la Bastille.

C’était, on le sait, une croyance généralement répandue au moyen âge que l’homme, en étudiant les combinaisons de la matière, pouvait transformer en or ou en argent le fer, le plomb, le cuivre, et les substances les plus viles elles-mêmes. Dès le IVe siècle, les adeptes de cette croyance allumèrent leurs fourneaux, et pendant quinze cents ans ils travaillèrent à la transmutation, toujours déçus et toujours confians, car la foi dans l’erreur est plus vive que la foi