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discrets, car il fallait à chaque nouvelle dose de poudre de succession faire de nouvelles largesses[1], mais les malfaiteurs ne travaillaient pas seulement pour l’aristocratie. Ils modéraient leurs tarifs en faveur des petits bourgeois : la mort était mise à la portée de toutes les bourses, et les gens peu aisés en étaient quittes, après la consultation, pour un sou d’eau forte qu’ils achetaient chez le premier apothicaire venu.

Les superstitions les plus grossières, les plus obscènes pratiques se mêlaient aux empoisonnemens : on croyait à la sorcellerie, aux conjurations, aux talismans. Les joueurs faisaient bénir leurs cartes. Les femmes portaient sur elles une main de gloire qui n’était autre que la main d’un pendu desséchée au soleil ou dans un four; les avares déliaient leur bourse pour obtenir de la science des sorciers la pistole volante, c’est-à-dire une pistole qui, après être sortie de leur poche, y revenait toujours, en traversant l’espace, comme les oiseaux. Les légendes sataniques fascinaient les imaginations, et, comme au temps de Salvien, le démon était partout, ubique dœmon. Les chercheurs d’or, pour retrouver l’argent enfoui pendant la fronde, se rendaient la nuit sur les lieux qu’ils supposaient receler des trésors : un prêtre, revêtu de son étole, s’y rendait avec eux; il se plaçait au milieu d’un cercle de bougies noires, et, là, le bréviaire ou le grimoire à la main, il adjurait le diable de comparaître et de révéler les secrets de la terre. Celui-ci ne comparaissait pas, et pour cause; le prêtre indigne, qui faisait payer ses services au poids de l’or, proposait alors des moyens plus efficaces. Une prostituée sur le point de faire ses couches était étendue sur le parquet d’une chambre isolée, au milieu des bougies noires de la première conjuration, et, quand elle avait donné le jour à son enfant, elle le vouait au diable. Le prêtre l’égorgeait, le sang de la victime servait à de nouvelles opérations magiques[2], et ses restes étaient ordinairement consumés dans des fours.

Ce fait est formellement attesté par M. de La Reynie. « De pareils crimes, dit-il, semblent si nouveaux et si étranges, qu’à peine peut-on s’appliquer à les considérer. Cependant ce sont ceux qui les ont faits qui le déclarent eux-mêmes, et ces scélérats en disent tant de particularités et de circonstances qu’il est très difficile d’en

  1. L’emploi des substances vénéneuses durait souvent plusieurs mois. C’est ainsi que le lieutenant civil Aubray fut empoisonné vingt-huit fois par sa fille et un laquais. Archives, t. V, p. 243.
  2. Les sciences occultes ont dans tous les temps attribué une grande puissance au sang des enfans. On appliquait aux cérémonies magiques le système des contraires; le diable étant la plus haute incarnation de la perversité, on supposait que plus on lui sacrifiait des êtres innocens et purs, plus il était satisfait et se montrait bien disposé en faveur de ses adeptes.