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a flétri, dans le Pays de braquerie, les galanteries effrontées et souvent vénales; ces grands seigneurs qui achètent au poids de l’or les petits paquets de la Voisin, ce sont les bretteurs de la fronde, qui trouvent ces paquets plus sûrs que leur épée; ce sont « de vieux cavaliers insensibles ou de jeunes nés dans le bruit des armes et que ce métier avait rendus brutaux. » La population de Paris prise en masse offre, comme la cour, de nombreux élémens pour le crime. Dans les couches inférieures, elle est profondément ignorante, profondément cupide; elle a dans la gêne l’amour du luxe, comme le prouve l’inventaire mobilier dressé pour l’assiette des impôts par le commissaire, de Lamarre, elle veut s’enrichir à tout prix, et elle achète en toute confiance de la poudre de succession parce qu’elle sait que la police est mal faite et qu’elle croit à l’impunité. Bien d’autres explications se présentent encore; elles ressortent pour ainsi dire d’elles-mêmes de l’observation des faits, l’on comprend comment le gouvernement de Louis XIV a été amené, pour suppléer à l’impuissance et aux lenteurs des tribunaux ordinaires, à faire de la Bastille une sorte de maison de correction ou de détention préventive, en même temps qu’une prison d’état : que ce gouvernement, en mainte occasion, ait agi avec un arbitraire que rien ne peut excuser, que cet arbitraire ait soulevé dans les deux derniers siècles une réprobation profonde, et qu’il soit entré pour une bonne part dans les causes de la révolution, on ne saurait en douter, mais il reste en même temps acquis à l’histoire que les détenus, quel que fût le motif de leur séquestration, n’ont jamais été soumis dans la forteresse du faubourg Saint-Antoine aux affreux traitemens dont on s’est fait au moment de la révolution une arme contre la royauté, et que les gravures du temps qui nous montrent les prisonniers d’état sortant de leurs cachots chargés de chaînes ne sont qu’une invention des partis.

Nous avons, dans le cours de cette étude, rappelé le nom de Racine. Nous ajouterons en terminant que sa mémoire est sortie pure d’une accusation calomnieuse. Quand toutes les classes de la société fournissaient leur contingent à la sombre affaire des poisons, la chambre ardente n’a pas trouvé un seul coupable parmi les écrivains, et, s’ils ont illustré le siècle de Louis XIV par leurs œuvres, on peut dire qu’au milieu d’une dissolution morale trop hautement constatée, ils l’ont également honoré par leur caractère et la dignité de leur vie.


CHARLES LOUANDRE.