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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/241

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vous inspire, — au milieu de l’affaissement contemporain, de toute cette musicaille dont nous sommes infestés, — je ne sais quelle confiance dans l’avenir, et vous remet, comme on dit, du baume dans le sang. Alors viennent les pensées tristes, et l’on se prend à regretter que ce coup de maître n’ait pas été frappé par un Français; consolons-nous pourtant, puisque ce chef-d’œuvre, qui aurait pu être d’un Allemand, est d’un Italien ami de la France, d’un génie de cette race latine destinée à bientôt disparaître, s’il fallait en croire les prophéties de la Nordische Zeitung.

Nous avons entendu la messe de Verdi autant de fois qu’on l’a donnée, et l’étude, la réflexion, n’ont fait qu’ajouter au sentiment qu’elle nous avait inspiré le premier jour. Profonde intelligence du sujet, abondance et variété dans les idées, dans les formes, science des rhythmes, puissance et couleur dans les sonorités, vous retrouvez là, à chaque page, l’âme et la main du maître, disons mieux, du maître d’aujourd’hui. L’auteur négligé du Trovatore et d’Ernani, pris de dédain, au plein de sa carrière, pour un art qui lui avait pourtant valu d’assez beaux triomphes, a pensé que celui-là aurait fait un beau rêve qui, avec le tempérament musical et dramatique dont le ciel l’avait doué, en arriverait à parler la langue de Beethoven, de Mendelssohn et de Schumann. Et ce rêve, par un effort de volonté qu’on ne saurait trop citer comme exemple, est à présent victorieusement réalisé. Se remettre au travail, à l’école, tenter les hasards d’une transformation après vingt succès qui vous ont donné la renommée et la fortune, se réveiller sous ses lauriers et s’écrier : « Ce n’est pas cela! recommençons! » j’avoue qu’une pareille façon d’agir m’inculque un certain respect, et qu’en même temps que j’applaudis au chef-d’œuvre, je m’incline devant le caractère viril et résolu de l’artiste qui l’a produit, d’autant que Verdi jouait gros jeu dans cette partie, et qu’il pouvait au bout de l’aventure se trouver fort bien n’avoir fait que lâcher la proie pour l’ombre. N’était-ce donc point ce procédé qu’il reniait qui lui avait servi à composer des ouvrages tels que la Traviata, un Ballo in maschera et Rigoletto? Savait-il en définitive ce qu’amèneraient les recherches nouvelles auxquelles il se livrait? Don Carlos nous le montra au moment de la crise, tranchons le mot, du tâtonnement. Le public ne se rendit pas bien compte de ce qu’il entendait; cet appareil symphonique le désappointa, la scène même du grand inquisiteur, superbe d’expression tragique, le laissa froid. On vit là moins les indices d’un changement radical qu’une tentative d’imitation, une sorte de sacrifice à des tendances encore mal définies. Le Verdi de Rigoletto et d’Ernani avait en effet dépouillé le vieil homme, l’autre, le Verdi d’aujourd’hui, ne se dessinait qu’à demi. L’inspiration hésitait un peu, la main qui tenait le gouvernail semblait plus occupée à tourner les écueils qu’à cingler hardiment vers les nouveaux rivages. Plus tard, seulement avec Aida, la métamorphose devait avoir son plein accomplissement,