Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parmi les sopranoni ou sopranalti, en d’autres termes : sopranos-contraltos. La Catalani devait appartenir à cette famille, à laquelle assurément se rattachait la Cruvelli. De telles voix possèdent tout : force, égalité, solidité; elles ont en quelque sorte un double médium, des assises doubles. La tessitura du grand et pur soprano prend son centre de gravité entre le la ou le si sur la troisième ligne, et le fa sur la cinquième ou le sol; le contralto pur trouve, lui, son medium entre le mi sur la première ligne et le si sur la troisième. Or les grandes voix dont je parle ont un double appui : le premier, allant de l’ut au sol sur la troisième ligne, et le second de l’ut ou du sur la quatrième ligne, jusqu’au sol. Ce sont là des voix absolument particulières et phénoménales, leur caractère est sui generis et point mixte. Elles restent et demeurent soprani ; quelle que soit d’ailleurs la puissance de leurs notes graves, jamais ces notes ne sauraient avoir la valeur significative du contralto, voix-clairons dans leur entière étendue, éclatantes et toutes lumière ! À ce titre seul, Teresa Stolz mériterait de figurer dans les annales de l’art du chant : quelle justesse immaculée, quelle sonorité partout égale, quelle audace et quelle sûreté dans la manière d’attaquer la note! J’ai connu chez la Lind cette faculté de crescendo et de diminuendo sur les notes élevées; mais la Lind, timbre mystérieux, incomparable, n’avait que des groupes de sons, l’instrument manquait d’homogénéité. Le règne de la Lind en fait de musique vocale ne s’expliquera peut-être jamais que par ce magnétisme auquel nul ne se dérobait; règne absolu autant qu’indéfinissable, tandis que l’art merveilleux d’une Teresa Stolz se peut démontrer à chaque phrase, à chaque note; vous n’avez devant vous ni la Nilsson, ni la Patti, ni virtuosité, ni chinoiserie, c’est la cantatrice forte et naturelle, la prima donna par excellence. La voix de la Waldmann a moins de lumière et pour ainsi dire plus de chair ; elle chante en pleine abondance et plein contour et se fie à son médium, qui la porte, elle et sa fortune. A lui seul, ce medium splendide est une voix, car dans le haut ni dans le bas l’organe ne se développe en proportion. La Waldmann a par momens des résonnances de ténor. Je ne pense pas qu’on puisse rêver un couple féminin mieux assorti. Avec une pareille tête de troupe, il n’y a chef-d’œuvre de l’ancien répertoire ou du moderne qu’un théâtre ne fût en mesure d’aborder, d’enlever : tout Gluck et tout Mozart y passeraient. Pendant qu’on les écoute ravi, l’imagination va son train; on entrevoit la possibilité de certaines reprises, la Clémence de Titus par exemple, cette Bérénice du Racine musical autrichien, — avec la Waldmann jouant Sextus et la Stolz Vitellia. Illusion et fantasmagorie! pareilles jouissances ne nous sont, hélas! point destinées. S’il y avait encore un théâtre italien cet hiver, vous y verriez refleurir le joli personnel de l’an passé, et quant à l’Opéra, il semble vraiment que ce soit un parti-pris de ne jamais affronter la question par ses grands côtés. On nous annonce maintenant