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du palais. Pétrarque lui conseille de s’en aller en paradis afin d’y contempler le type de sa dame et de la pourtraire au retour d’après cet idéal. Simon jugea sans doute que le paradis était trop loin ; il resta simplement sur la terre, peignit Laure d’après le naturel et fit bien, car, grâce à lui, l’éternel féminin redevint femme.

Le visage forme un ovale exquis, le front est clair, intelligent, les cheveux, d’un or sombre et tirant sur le roux, s’échappent en nattes crespelées de leur résille de perles, les yeux sont adorables, le nez fmement allongé; la bouche délicieusement modelée a cette éloquence du silence qui persuade et vous rappelle le sourire de la Joconde. Autour du cou d’une blancheur de cygne et d’une délicatesse qui n’a rien de languissant, deux rangées de perles s’enroulent, et sous une robe de riche étoffe palmée d’arabesques vertes et timbrée entre les deux seins de la couronne de vicomtesse, la poitrine s’épanouit dans sa pudique et suave élégance. — Tout cela rayonne de distinction, de grâces honnêtes et sévères. D’abord tant de froideur vous épouvante. Est-ce une prude, une coquette ? peut-être à la fois l’une et l’autre. Ce que je sais, c’est que cette personne-là vous tient à distance en même temps qu’elle vous attire. La fameuse robe à semis de violettes dont je viens de parler appartient au symbole et à l’histoire. Laure la portait le jour de son apparition à Pétrarque dans l’église de Sainte-Claire, il faudra donc que les bienheureuses violettes de cette robe deviennent en ces strophes un motif éternel d’allusions. Ce laurier, synonyme du nom de Laure, ces violettes dont se décore son costume, impossible d’y échapper ; vous en arrachez une moisson qu’une autre repousse aussitôt. Lui-même avait fini par comprendre l’abus, et plus tard se le reprocha dans sa période de repentance et de latinité : « Qui ne s’étonnera, lui dit saint Augustin, le morigénant d’importance dans un dialogue où l’ermite Pétrarque se fait un vrai délice de tendre le dos à la discipline du vieil évêque, — qui ne prendra scandale de voir ta passion pour cette Laure en arriver à ce point de folie que tu ne t’attaches pas simplement à sa seiule personne, mais que tu ailles aimant et divinisant jusqu’aux objets ayant avec elle quelque rapport ? car telle est la cause véritable de tes préférences à l’endroit du laurier et des violettes que tu ne peux t’empêcher de citer et de célébrer dans le moindre de tes poèmes. » Et en effet pour cette poésie de la tête et non du cœur, pour cet art épris de curiosité, de miroitement et de cadences, il n’y a si mince vétille qui ne compte. Imperturbable fomentateur de ses illusions, Pétrarque ne vit que d’allégorie. C’est son plaisir et aussi le nôtre, car rien de plus amusant que d’étudier de semblables amours par les deux bouts de la lorgnette, — celui qui éloigne et celui qui rap-