Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/263

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mir, déplore sa folle erreur, ses espérances déçues ; tant de larmes inutilement versées, tant de peines pour ne rien obtenir ! Et l’infortuné, quelle récompense osait-il donc appeler de ses vœux ? Où s’égaraient ses rêves, ses désirs ? Entre elle et lui, le mariage n’a-t-il pas creusé l’infranchissable obstacle ? Eh bien ! alors mieux vaudrait s’éloigner, oublier.

Il s’éloignera, mais il n’oubliera point, car renoncer à son martyre, ce serait renoncer à ses vers ; or à de pareils vers quel poète renoncerait ? Pétrarque fuit sa maîtresse pour la chanter plus à son aise. Il convient ici de ne point s’exagérer les choses, et de n’attribuer à l’amoureux tourment que la juste part qui lui appartient dans la perpétuelle odyssée du paladin. La mobilité de son caractère, la fiévreuse agitation de son esprit le poussaient aux voyages. Il lui fallait se déplacer, se mêler à la vie des grands, être l’hôte de toutes les fêtes et ne rien laisser d’important s’accomplir en dehors de sa présence. Un événement pouvait ne l’intéresser que médiocrement, mais dès l’instant que le monde s’en occupait, il se devait à lui-même d’y avoir figuré. Il se rend d’abord au pied des Pyrénées, chez son ami, l’évêque de Lombez, Jacques Colonna, et se plonge dans l’étude de l’antiquité. Là se rencontrent deux personnages de la petite cour épiscopale : Lello di Stefano et le Flamand Ludovic[1], avec lesquels il disserte et platonise abondamment. Presque aussitôt il repart et traverse Avignon, où Laure, mécontente et renfrognée, du plus loin qu’elle l’aperçoit, s’enferme à triple verrou dans son voile. Pétrarque alors, plus désespéré que jamais, se dirige sur Paris, qu’il parcourt et visite à fond. Les bords du Rhin le tentent, il passe à Cologne, voit ensuite Liège, Gand, Aix-la-Chapelle. Il va sans dire que l’image de sa dame ne cessera pas de l’accompagner ; mais à cette pensée s’en associe une autre, celle qui, — à défaut de sa légende, — suffirait pour le recommander à la postérité. J’ai nommé sa passion pour les lettres antiques, et son infatigable ardeur d’explorations. Il voyage à la découverte de l’ancien monde, scrute les bibliothèques, déchiffre, compulse, copie et reconstruit les manuscrits. Pétrarque eut, à vrai dire, deux maîtresses, Laure de Noves et la philologie. Nous nous entêtons à ne voir que le troubadour ; il y a dans cet homme le précurseur des savans de la renaissance. Au plein de ce moyen âge ténébreux, un coin d’azur, trahit l’Olympe qui se réveille ; les anciens dieux se risquent sur la terre, narguant la chevalerie et les moines, Apollon court après Daphné. Pétrarque, un des premiers, ressent la commotion, sa narine subtile flaire le vent qui souffle du passé, écartant le brouillard opaque, et mon-

  1. Le Lelius et le Socrate des Epistolœ familiares.