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paient son lyrisme et sa rhétorique. Il n’a jamais à la bouche que son Italie (Italia mia !), conjure en strophes magnifiques les maîtres du pays de ne pas s’entre-dévorer comme ils font, ouvrant par leurs discordes le chemin des Alpes « à la rage du barbare germain. » Et c’est ensuite ce grand prêcheur de liberté qui s’engage au service des Visconti, chante madonna Laura et court partout les demoiselles. Les Colonne l’ont comblé de bienfaits, il leur en garde affection et reconnaissance, mais ni cette affection ni cette reconnaissance ne l’empêcheront de célébrer sur tous les tons la victoire d’un Rienzi : « Il n’existe pas, j’en conviens, sur toute la surface de la terre, une famille princière que je chérisse davantage ; mais la république m’est encore plus chère, et Rome aussi, et l’Italie. » Des rimes et des mots !

Quels vers que ses vers italiens, et quelle prose que la sienne ! Je parle de sa prose latine seulement, car la langue qu’il écrit en italien est détestable. Lui, dans ses sonnets le maître exquis des élégances et de la correction, reste dans sa correspondance fort au-dessous, je ne dirai pas de Dante et de Boccace, mais des écrivains les plus ordinaires ; c’est absolument un autre homme. Une forme lyrique adorable, — en ce qu’elle est, — euphonie, charme, intérêt musical, peu d’originalité dans les pensées, de vérité dans l’expression du sentiment, voilà pour le poète. Il se peut que Pétrarque ait ressenti ce qu’il dit ; mais son émotion ne vient pas de l’âme, son patriotisme est objet d’art, comme son amour et comme sa vertu. Il n’a rien de l’inspiré, du voyant ; tout est arrangé pour l’effet, nous dirions aujourd’hui pour la pose ; ses passions et les mélodies qu’il en tire occupent l’Europe, tout le monde prête l’oreille ; papes, empereurs, rois et podestats, c’est à qui l’aura pour correspondant. En même temps, il se met en communion avec les idées du moment, parle aux Romains de leur ancienne république, à l’Italie de sa grandeur future. Il sème aux quatre vents la flatterie, de manière que chacun ait son compte, le pape et l’empereur comme leurs plus furieux ennemis.

Étonnons-nous après cela que Pétrarque tienne la place où nous le voyons ! Aujourd’hui sa popularité dépasse en Italie même celle de Dante. Boccace, Arioste et Tasse ne sont dans l’opinion que ses vassaux. Peut-être qu’il y aurait à saisir là certain trait particulier entre le caractère de la nation italienne et ce poète, objet d’un culte en quelque sorte symbolique. Regardez-y de près, que de rapports communs : ce goût exclusif de la forme, de la cadence, cette culture spéciale du sonnet, — mauvaise plante qui pour quelques fleurs rares devait donner plus tard des moissons d’ivraie, — et finalement, à propos d’antiquité classique, à propos de tout, ce troubadourisme