son véritable auditoire était ailleurs. Aussi le triomphe était-il presque toujours pour le jeune patricien dont l’ardente parole s’inspirait de toutes les qualités qui assurent, et qui justifient la domination anglo-saxonne sur l’élément celtique. Cependant la fougue même qui transportait l’auditoire entraînait aussi maintes fois le bouillant orateur dans de périlleux écarts. Désigné familièrement comme le Hotspur of debate d’après un des personnages les plus popularisés par Shakspeare, on croyait toujours l’entendre en effet empruntant le cri de guerre du chevaleresque Percy : « encore une fois sur la brèche, chers amis, encore une fois; » mais c’était souvent pour se compromettre ou pour se perdre dans la mêlée. Alors, afin de couvrir la retraite, de réparer les imprudences, de combler les omissions, on voyait sir Robert Peel se lever à son tour. Sa parole grave, limpide, pondérée, sa profonde connaissance de tous les sujets sur lesquels portait le débat, sa longue expérience des dispositions secrètes de l’assemblée comme de tous les ressorts de la stratégie parlementaire, lui assuraient une domination acclamée par les uns, subie par les autres, reconnue par tous, et, à côté du bouillant partisan, le chef incontesté se révélait. Quelle lucidité, quelle autorité, quelle dialectique! Toujours en progrès manifeste jusqu’à la fin, l’éloquence de sir Robert Peel n’avait point encore toutes les qualités qui se sont développées et déployées plus tard dans les luttes ardentes et les cruelles épreuves qui lui étaient réservées. Toutefois par ce mérite que ses compatriotes apprécient plus que les plus brillans effets oratoires, une discussion calme, réfléchie, triomphante, il était déjà, selon la locution consacrée chez eux, le premier debater de la chambre des communes.
Je revis souvent sir Robert Peel pendant les trois années suivantes; mais notre entretien ne portait que fort superficiellement encore sur les matières importantes. Je pus remarquer toutefois qu’il aimait sincèrement la France, souhaitait vivement le succès de notre gouvernement constitutionnel et déplorait les égaremens, inconcevables à ses yeux, qui nous ont été si funestes. Voulant avec ardeur la paix européenne, sans cesse mise en question alors, il considérait le développement de tous les bienfaits qui en découlaient pour les peuples comme la tâche et la mission primordiales des hommes d’état. Il condamnait sans relâche les efforts tentés par d’autres pour attiser la discorde, pour ranimer entre les deux nations les animosités mal assoupies du passé, et déjà il pratiquait hautement, comme chef de l’opposition, la politique sincèrement bienveillante à notre égard dont il s’est montré le fidèle interprète et le zélé défenseur durant toutes les vicissitudes de sa carrière. C’est vers cette époque que, nommé ambassadeur à Londres, M. Guizot entra en relations