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qui ne possédaient pour la plupart que des arcs ou de mauvais fusils. Ils ne négligeaient aucune occasion de s’en servir, et, soit pour frapper l’ennemi fuyant trop rapidement, soit au contraire pour le tenir à distance, ils faisaient feu sans quitter la selle, car, au milieu de l’immensité des prairies, l’homme n’aime pas à se séparer de son cheval. Si cependant il s’agissait d’attaquer un camp indien ou de défendre un corral, si l’ennemi était posté dans un terrain trop difficile, les dragons, laissant leurs montures à un quart d’entre eux, se formaient et combattaient comme de l’infanterie.

Malgré leur tenue incorrecte et leurs grandes jambes pendant toutes droites sur les flancs de leurs petits chevaux, malgré les gros étriers de bois qu’ils avaient rapportés du Mexique et les engins de toute sorte accrochés à leur selle, ces hommes bronzés avaient, dans leur grand manteau bleu de ciel à collet de fourrure, l’allure résolue et dégagée qui révèle le soldat aguerri. A la manière dont ils menaient leurs chevaux, on voyait bien que plus d’une étape faite à pied auprès d’une bête écloppée leur avait appris à les ménager. Il faut dire qu’ils auraient été bien ingrats, s’ils n’avaient pas apprécié les qualités de ces fidèles compagnons de leurs travaux. Tous ceux qui ont fait campagne dans le Nouveau-Monde ont eu bien des fois l’occasion d’admirer l’adresse du cheval américain et la sûreté de son pied au milieu des nuits les plus obscures. Capable, quoique petit, de porter un grand poids, doux et intelligent, résistant à la fatigue, à la pluie, au froid, au manque de soins et de nourriture, il se montrait bien fait pour cette rude vie des prairies que l’homme ne pourrait affronter sans son aide. Le soir, après une longue étape, il n’avait pour tout repas que les plantes sauvages au milieu desquelles était établi le bivac; seulement, le matin, au lieu de le seller dès le lever du soleil, on lui accordait les deux premières heures du jour pour brouter l’herbe attendrie par les fortes rosées du désert, et après trois jours de marche on lui en laissait généralement un de repos. Enfin, lorsqu’après bien des mois passés ainsi, portant son maître et son bagage, il rentrait dans la grossière écurie du poste frontière, il trouvait moyen de se refaire et d’oublier ses privations en mâchant des épis de maïs dont il épluchait lui-même les grains.

L’artillerie avait aussi une large part des fatigues communes. Les simples changemens de garnison entre les postes éloignés dont elle avait la garde équivalaient parfois à de véritables campagnes. Elle faisait d’ailleurs partie de toute expédition importante, car la voix du canon retentissant dans le désert produit sur l’Indien une profonde impression. La prairie, quoiqu’elle soit praticable aux voitures, ne ressemble guère cependant à une grande route : les longues marches