Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que son devoir. C’est le cri que l’admiration arrache à tout cœur bien placé. Ce cri pourtant est-il bien d’accord avec la précision scientifique? Exalter ainsi l’héroïque prélat, n’est-ce pas diminuer la grandeur de son ministère? La délicate et ferme analyse de M. Janet démontre péremptoirement, à mon avis, que ce dévoûment sublime était pour l’archevêque de Paris un devoir impérieux. « Qui ne voit, s’écrie-t-il, que dans l’idée d’un ministre évangélique est contenue plus que dans celle d’aucun autre état l’obligation de dévoûment? Sans doute nui ne peut prévoir d’avance comment et où ce dévoûment pourra s’exercer, et comme, grâce à Dieu, les guerres civiles sont très rares, ce genre de dévoûment particulier qu’a inspiré à l’archevêque de Paris la terrible épreuve où était plongée la patrie ne pouvait pas être prévu a priori. Il n’y a donc pas de règle pour cette circonstance ; or, habitués à n’appliquer ce mot de devoir qu’à des actions qui se présentent fréquemment, nous croyons qu’il n’y a plus de devoir lorsqu’il s’agit d’une action exceptionnelle. » Ce n’est pas tout, la conscience morale n’atteignant pas chez tous les hommes le même degré d’élévation et de pureté, la même idée ne viendra pas à tous dans les mêmes circonstances. Or, tant que l’idée d’une action à faire ne s’est pas offerte à notre esprit, il est évident que cette action n’est pas obligatoire; une fois que l’esprit l’a conçue, c’est un devoir de l’accomplir. « Supposez que l’archevêque de Paris, après avoir conçu cette pensée, eût reculé devant l’exécution, il en eût sans doute éprouvé les mêmes remords que nous avons l’habitude d’éprouver lorsque nous manquons aux devoirs les plus stricts. Il eût éprouvé le sentiment d’une humiliation intérieure, d’une diminution morale, et comment aurait-il pu en être ainsi, s’il n’avait pas eu la conscience de manquer à un devoir? » Ne disons donc pas que Mgr Affre a fait plus que son devoir, cette façon de parler est inexacte; disons qu’il a conçu de son devoir l’idée la plus haute, la plus sublime, une idée que bien peu d’hommes sans doute, même parmi les meilleurs, auraient eue comme lui. A s’exprimer de la sorte, on ne commet pas d’hérésie philosophique, et, en rendant au héros l’hommage qui lui est dû, on rend le même hommage au ministère sacré qui inspira son grand cœur.

L’originalité du livre de M. Janet est dans ce mélange des théories les plus élevées et des applications les plus précises. Ils sont rares de nos jours les philosophes qui, tout en maniant avec aisance la langue des abstractions, sachent emprunter leurs argumens aux exemples du monde réel. On craint de paraître faible, si on ne se perd dans les nues. La vraie force, comme la vraie souplesse de l’esprit, se reconnaît à d’autres signes; il faut être toujours prêt à monter des faits aux principes et à redescendre des principes aux