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meut sans être mû que l’on appelle la liberté. Qu’est-il? en quoi consiste-t-il? quelle en est l’essence? On ne peut le dire. Il est en nous ce qu’il y a de plus profondément personnel, ou, s’il vient d’ailleurs, il est le lien où le divin se transforme en une personnalité individuelle, où se fait le passage incompréhensible de l’universel à l’individuel, où s’unissent dans un acte inséparable la grâce et le libre arbitre. Sans doute le vouloir est de moi, — et qui pourrait vouloir si ce n’est moi-même? mais la force du vouloir ne vient pas de moi, car je ne me suis pas créé moi-même, je ne me suis pas donné moi-même ma volonté; autrement je me la serais donnée absolue, et je ne sais que trop qu’elle ne l’est pas. Je me la serais donnée toute-puissante contre le mal, tout obéissante pour le bien, et je ne sais que trop qu’elle est impuissante contre l’un tout en le haïssant, et rebelle contre l’autre tout en l’aimant. »

Il y aurait encore à signaler de belles discussions et de belles pages au sujet de la sanction morale, de l’immortalité de l’âme, de la vie future. Le philosophe qui ne doute pas de la loi ne peut mettre en doute la sanction de la loi. Il croit donc à une sanction divine, puisque toutes les sanctions humaines sont insuffisantes, et le dogme de la vie future est aussi éclatant à ses yeux que la lumière du soleil. Si on lui demande d’apprécier d’un mot le caractère de cette vie à venir, il l’appelle une délivrance. Ne dites pas que c’est une récompense comme l’entend la foule, comme l’entendent même des hommes tels que Pascal et Kant, n’en parlez pas comme d’un droit que peut réclamer l’homme de bien, ne mettez pas la vertu d’un côté, de l’autre le bonheur qui s’y ajoute comme un prix; non, la vie future, c’est la vertu même débarrassée des liens qui l’entravent ici-bas, c’est la délivrance, c’est le salut! Il admire surtout la profondeur de ce mot, le salut, une des plus fortes expressions de la langue théologique.

Cependant tout cela peut-être sent trop le métaphysicien; ne pourriez-vous, ô sage! nous faire entrevoir ce qui suivra cette délivrance, quel sera l’emploi de cette activité plus haute, en quoi consistera le salut? M. Janet est un esprit trop circonspect pour s’établir en ces régions où se plaisent les génies aventureux ; il se borne à réclamer en quelques mots contre les systèmes exclusifs. Aristote a prononcé de magnifiques paroles sur la vie future, des paroles que Bossuet commente avec enthousiasme; Spinoza aussi s’élève très haut quand il parle de cette existence supérieure et suprême; mais pourquoi l’un et l’autre font-ils consister la vie future dans la conservation des pures pensées? Philosophes spéculatifs, hommes de science, ils ont conçu la vie divine sur le modèle de ce qu’ils ont le mieux aimé dans la vie terrestre. Fort bien, c’est là un trait de caractère qui a son prix; n’oublions pas pourtant