Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la science positive, qui le délivre à jamais et des illusions théologiques et des illusions métaphysiques. Ai-je besoin de dire que M. Paul Janet, armé de ses vigoureux principes, n’est pas homme à se laisser troubler par ces assertions tranchantes? Il examine le système de l’adversaire et, s’il y découvre une part de vérité, il la détache, persuadé que le meilleur moyen de confondre l’erreur est de lui enlever ce qu’elle renferme de raisonnable. Oui, sans doute, il se peut que l’esprit humain, après avoir divinisé les forces de la nature aux premiers âges du monde, ait transformé ensuite ces symboles en abstractions philosophiques, pour y substituer plus tard les notions de la science; mais la science est-elle le dernier mot de ce que l’âme demande à la vie? La science est-elle en mesure de répondre à toutes les aspirations du cœur de l’homme? Non certes. Qu’est-ce donc qu’un système qui ne peut subsister qu’en mutilant l’humaine nature? Si la loi des positivistes contient quelque chose de vrai, c’est à la condition de ne pas s’arrêter là ; dès lors l’insuffisance et l’inhabileté de la science à combler nos désirs infinis ramène nécessairement les élans de l’âme vers Dieu; une religion plus haute produit une métaphysique plus haute, laquelle se résout elle-même dans une science positive moins étroite. Cette évolution, qui rappelle les ricorsi de Vicjo, a dû se renouveler plusieurs fois avant qu’il ait été donné à l’esprit humain de se reposer dans une religion qui embrasse tous les possibles et ne laisse en dehors d’elle ni la philosophie ni la science. M. Michelet, tout enthousiaste qu’il fût et de la science et de la philosophie, n’a-t-il pas dit dans un de ses meilleurs jours, à propos de la religion chrétienne : « Je vous en prie, oh ! dites-le-moi si vous le savez, s’est-il élevé un autre autel? » M. Janet ne va pas aussi loin ; il se borne à prouver que la religion n’est pas, comme le veulent les positivistes, le brillant et poétique phénomène de la jeunesse de l’humanité. L’expérience le démontre aussi bien que la raison : voilà longtemps qu’elle a disparu, cette jeunesse de l’humanité; l’idée religieuse s’est-elle évanouie avec sa dernière lueur? Est-ce qu’il n’y a pas des savans, et en grand nombre, qui donnent un démenti à la théorie des trois états? Sans les chercher bien loin, nous ajoutons nous-mêmes : voici un homme nourri de science, nourri de philosophie, accoutumé à se défier de toutes les illusions; il écrit un traité de morale, et pour obéir en toute franchise à sa libre pensée, il est obligé de déclarer que le dernier mot de ses recherches, c’est la religion.

Qu’est-ce que la religion en soi? L’amour de Dieu. Il faut lire dans l’ouvrage de M. Janet la savante analyse que le dialecticien a donné de ce sentiment. Il y découvre un élément métaphysique et un élément moral. L’élément métaphysique, c’est la conscience que