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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/35

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demeurés étrangers aux querelles passionnées qu’elle engendre, et n’avaient guère suivi le mouvement qui divisa leur patrie en deux camps hostiles; aucune famille ne souffrit de plus cruels déchiremens, lorsque les citoyens s’armèrent les uns contre les autres, que cette famille militaire, dont les membres étaient unis par tant de liens. Tous ceux qui appartenaient au nord se préparèrent, malgré des opinions très diverses sur les questions du jour, à répondre à l’appel de leur gouvernement. Parmi ceux qui tenaient aux états du sud par leur naissance ou leurs parentés, quelques-uns, comme le vénérable Scott, demeurèrent fidèles à leur serment, estimant que l’insurrection, loin de les en délier, les obligeait à défendre l’existence menacée de leur patrie. La plupart, dominés par des influences de parti et imbus de la fatale doctrine de la souveraineté absolue des états, qui était devenue parmi eux une espèce de dogme, quittèrent en masse le drapeau fédéral pour aller organiser les forces naissantes de la rébellion. Beaucoup d’entre eux ne prirent pourtant pas sans regrets une résolution aussi contraire aux notions ordinaires de l’honneur militaire; ces regrets, connus de leurs anciens camarades, contribuèrent à adoucir la guerre, à en éloigner la rancune et la passion, et leur souvenir inspira le général Grant lorsque, quatre ans plus tard, il tendit à son adversaire vaincu une main généreuse.

Il y en eut cependant qui aggravèrent encore le spectacle toujours pénible de la défection militaire. On vit le général Twiggs, qui commandait les troupes du Texas, s’entendre avec les rebelles pendant qu’il portait encore l’uniforme fédéral, et leur livrer les dépôts de vivres et de munitions de ses propres soldats afin d’enlever à ceux-ci tout moyen de résistance. Abandonnés par une partie de leurs officiers, privés de toutes ressources, ne trouvant plus que des ennemis dans la population ingrate qu’ils avaient protégée pendant tant d’années, ces braves soldats eurent encore à résister aux séductions de ceux qui leur promettaient un brillant avenir dans les rangs des insurgés. Un de leurs anciens chefs, Van-Dorn, eut le triste courage de reparaître au milieu d’eux pour appuyer ces propositions de l’influence que lui avaient value ses rares qualités militaires. Il ne gagna personne, et les débris de son régiment, obligés de conclure une convention d’évacuation avec les ennemis qui les entouraient de toutes parts, retournèrent dans les villes du nord, où ils rencontrèrent les camarades séparés d’eux depuis longtemps, qui accouraient à la défense de la cause nationale.

C’étaient en effet de nouveaux dangers que venaient chercher au sein de la civilisation ces hommes réunis par un même sentiment du devoir. Cette cause nationale avait besoin de tout leur dévoûment,