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Strasbourg le signe visible de l’orage menaçant, cet ennemi avait d’abord au plus une vingtaine de mille hommes ; mais bientôt au premier ordre du quartier-général arrivaient d’Allemagne la division de landwehr de la garde prussienne, la division de réserve de Poméranie, une brigade de troupes de Rastadt et de Mayence, 33 compagnies d’artillerie, 14 compagnies du génie, formant une armée de près de 60,000 hommes avec 90 pièces de campagne, 200 canons de siège, 100 mortiers. Le général de Werder était envoyé pour prendre le commandement supérieur des opérations sur ce nouveau théâtre de guerre. Il avait pour lieutenans le général d’artillerie de Decker et le général du génie de Mertens, qui s’était signalé à Duppel. Les Allemands ne perdaient pas de temps dans leur stratégie. Ils poursuivaient à Strasbourg ce qu’ils allaient poursuivre, dans des proportions bien plus vastes et avec des chances qu’on croyait alors bien plus douteuses, à Metz. Ils manœuvraient pour couper de toutes parts nos forces, pour isoler et neutraliser les deux grandes places d’armes françaises. Ils voulaient, par la prise de Strasbourg, s’assurer la tranquille possession de l’Alsace et la liberté de leurs communications avec l’Allemagne dans leurs marches vers l’intérieur de la France sur Paris. Ils avaient espéré enlever la ville par un coup d’audace ; ils n’avaient pas réussi, et maintenant ils prenaient leurs mesures pour la réduire par la force, par la violence du bombardement ou par la contrainte d’un blocus.

A l’arrivée des Badois, l’investissement avait commencé ; dès le 12, il était presque complet. Les Allemands occupaient successivement toutes les positions environnantes, les villages de Schiltigheim, d’Oberhausbergen, de Kœnigshofen, coupant les télégraphes, les lignes de fer de Mulhouse, de Bâle comme la ligne de Paris. Ils étaient partout à l’œuvre, et il faut bien dire qu’en présence de ce travail méthodique d’investissement la défense restait comme paralysée, laissant l’ennemi arriver sans combat aux abords de la place, employant ces premiers jours à mettre à bas des arbres, des maisons dans les zones militaires. On aurait pu assurément faire un peu plus ; ce n’était pas tout cependant de le vouloir. Le 16 août, la première sortie qu’on tentait avait la plus lamentable issue. Après un court engagement sur la route de Bâle, vers Illkirch, les troupes saisies de panique se repliaient en désordre abandonnant trois canons à l’ennemi. Le colonel Fiévet, qui conduisait la sortie, était lui-même blessé en essayant de rallier ses soldats, et il mourait peu après de chagrin de cette triste échauffourée autant que de sa blessure. On avait perdu 70 hommes, blessés ou morts. A partir de ce moment, la place était définitivement bloquée, séparée de la France. La lutte était engagée entre la défense, rejetée dans ses lignes intérieures, et l’armée