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l’armée et de la place, Bazaine compliquait la situation de l’une et de l’autre. La ville de Metz avait été si brusquement investie qu’aucune mesure régulière n’avait été sérieusement prise pour un approvisionnement de siège. Elle avait cependant du grain ou de la farine pour deux mois et demi, — en comptant une population ordinaire de 45,000 âmes. Les habitans des campagnes, réfugiés au nombre de 20,000, avaient été avertis qu’ils devaient se munir de quarante jours de vivres. L’armée, de son côté, pouvait avoir de la farine ou du blé pour cinq ou six semaines, — et elle ajoutait un contingent de plus de 150,000 hommes à la population ordinaire. Il s’agissait maintenant de faire vivre cette agglomération de plus de 200,000 créatures humaines, habitans civils ou soldats, avec les ressources d’une ville qui, tout compté et tout mis en commun, n’aurait pas du blé pour deux mois, qui n’avait plus déjà ni viande ni sel, et qui, dès le premier jour, allait être réduite à manger ses chevaux. On aurait pu depuis quinze jours augmenter ces ressources, on ne l’avait pas fait, de sorte que Bazaine se trouvait enfermé avec des moyens d’existence bornés, avec une population inquiète de son avenir, une armée attristée de son sort et les irrésolutions de son âme qui ne le préparaient guère à triompher des difficultés dont il était entouré. Voilà la situation !


III

Ici commence la période obscure et poignante.

Assurément, si depuis le premier jour il y avait eu à Metz un autre homme chargé des affaires de la France, tout aurait pu changer de face. Un autre chef d’armée aurait tout fait plutôt que de se résigner à une captivité passive et impuissante dans un camp retranché. Il ne se serait pas arrêté au moment de vaincre et d’échapper à l’étreinte qui le menaçait. Serré par l’investissement, il eût demandé à l’énergie et au dévoûment de 150,000 soldats éprouvés les moyens de rompre un cercle de 50 kilomètres qui devait bien avoir quelque point faible : il eût essayé dans tous les cas. Avant comme après les événemens de septembre et la révolution de Paris, il serait resté vigilant, actif, résolu, inaccessible aux défaillances ou aux influences extérieures, tout entier au devoir militaire, et, s’il n’avait pas réussi, il serait tombé sans peur et sans remords, pouvant regarder son armée en face, partageant virilement avec elle les suprêmes douleurs après avoir partagé avec elle les périls de la lutte. Je ne puis m’empêcher ici de songer à ce qui s’est passé dans d’autres temps. Au moment où le premier empire disparaissait en 1814, un grand soldat, plus que jamais fait pour être rappelé à l’armée française, Davout, se trouvait dans Hambourg avec