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autres animaux. C’est par un régime de mets excitans continué pendans plusieurs mois qu’on arrive (triste conquête de l’homme!) à rendre l’éléphant méchant. Les Hindous appellent must cet état de rage auquel ils amènent cet animal. Les mâles seuls peuvent être dressés à ce métier; la douceur plus grande encore des éléphans femelles ne permet pas de leur inculquer cette éducation perverse. M. Rousselet fut témoin d’un combat d’éléphans donné par le rajah de Baroda, et le récit de ce kousti (combat) n’est pas une des parties les moins intéressantes de ce curieux voyage. Il a également vu et raconté des supplices horribles où l’éléphant sert d’exécuteur des hautes œuvres.

Mais l’éléphant remplit en même temps un rôle plus utile et plus civilisateur; l’homme en a fait l’auxiliaire de ses travaux. Dans l’île de Ceylan, il figure au service des ponts et chaussées; on l’emploie à traîner ou à porter de lourds matériaux, pierres et poutres. Dans la coupe des forêts, il transporte les pièces de bois et les dispose en piles. Il montre à cette opération une dextérité surprenante; une fois dressé, l’homme n’a presque pas à intervenir dans son travail; quelques éléphans même ont réussi à apprendre un procédé mécanique auquel ils recourent dans les cas extrêmes. Quand la pile atteint une certaine hauteur et qu’ils ne peuvent plus, à deux, élever jusqu’au sommet la lourde pièce d’ébène ou d’autre bois précieux et lourd, ils disposent deux autres pièces contre la pile, et sur ce plan incliné roulent en haut la pièce, dont le poids les embarrassait. En Birmanie, on emploie les éléphans dans les scieries de bois de teck; non-seulement ils apportent le bois de la forêt, mais même ils le disposent avec leur trompe sur le support où il doit être scié en planches, le poussant avec leurs pieds jusqu’à qu’il soit en place et regardant des deux côtés si tout est bien en ordre. Tennent rapporte une anecdote qu’il tenait du major Skinner et qui montre à un haut degré l’intelligence de l’éléphant. « Un soir, dit le major Skinner, je me promenais à cheval dans la forêt, près de Kandy. Tout à coup mon cheval s’arrête, effrayé d’un bruit qui se faisait dans la forêt. On entendait le cri ourmph, ourmph, sourdement répété. Je vis bientôt d’où venait ce cri. C’était un éléphant domestique qui, laissé à lui-même, avait entrepris un travail difficile : il s’efforçait de transporter une lourde poutre, qu’il avait chargée sur ses défenses; mais le sentier était trop étroit, il était forcé d’incliner la tête tantôt à droite, tantôt à gauche. Cet exercice lui faisait pousser des grognemens de mauvaise humeur. Dès qu’il nous aperçut, il leva la tête, nous considéra un instant, jeta son fardeau à terre et se rangea de côté, contre le bois, pour nous livrer passage. Mon cheval tremblait de tous ses membres. L’éléphant le remarqua, s’enfonça encore plus dans le fourré et répéta son ourmph,