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dans les traditions scythiques, un des trois fils du premier homme. C’est pour lui que tomba du ciel une charrue d’or brûlant, sur laquelle nul autre que lui ne put porter la main. Peut-être aussi le grand saint Nicolas (les paysans prononcent Mikoula) n’occupe-t-il un rang aussi élevé dans l’église russe que parce qu’il a pris la place du Sélianinovitch. Il est bien remarquable que les Slaves de la Russie méridionale, héritiers de ces Scythes d’Hérodote qui s’enorgueillissaient du surnom de laboureurs, aient réservé les deux places d’honneur dans leurs poèmes nationaux à deux héros de la charrue : à Mikoula, le fils du villageois, à Ilia, le fils du paysan.

Ilia, avant de se révéler comme un bogatyr, un héros, était resté trente années comme perclus et paralysé. Un jour que son père et sa mère travaillaient aux champs apparaissent deux vieillards divins. « Ilia de Mourom, fils de paysan, lui crient-ils, ouvre-nous les larges portes, fais-nous entrer dans ta maison. — Hélas ! répond l’infirme, je ne puis ouvrir les larges portes. Il y a trente ans que je reste assis; je ne puis remuer ni les bras ni les jambes. — Lève-toi, Ilia, sur tes pieds rapides, ouvre-nous les larges portes, fais-nous entrer dans ta maison. » Ilia se lève en effet et va leur ouvrir. Les inconnus lui présentent alors une coupe remplie d’un certain breuvage. A peine a-t-il bu que « son cœur héroïque s’échauffe et que son corps blanc se couvre de sueur. » — « Que sens-tu en toi, Ilia de Mourom? demandent les étrangers. — Je sens en moi une grande force. — Ilia, tu seras un grand héros ; tu ne dois pas mourir en bataille. Livre donc combat à tous les héros, à toutes les héroïnes audacieuses. Seulement ne t’avise pas de lutter avec Sviatogor le bogatyr, car la terre peut à peine le porter; ne va point t’attaquer à Samson le fort : sur sa tête, il y a sept cheveux divins ; ne lutte point avec le sang de Mikoula : il est chéri de la mère humide, la terre; n’en viens pas aux mains avec Volga : ce n’est point sa force qui le rend invincible, c’est sa ruse. »

Voilà donc Ilia qui tout à coup de cul-de-jatte est devenu un héros auquel tous les autres devront céder à l’exception de Sviatogor, Samson, Mikoula et Volga. Ces quatre personnages forment en effet dans le panthéon russe comme une génération plus ancienne, plus puissante que les bogatyrs du cycle de Vladimir. Ce sont les vieux dieux d’Eschyle, bientôt forcés de faire place à de plus jeunes; des Titans aux forces aveugles et déréglées, que la terre ne peut qu’à peine porter, Mikoula, le bon laboureur, fait exception : il est chéri de la mère humide, — Volga, qui par certains traits semble un chef de Varègues en quête de butin et d’aventures, est par d’autres côtés une mystérieuse divinité, d’un caractère très archaïque. Un serpent avait eu commerce avec sa mère; il s’était enroulé "autour des brodequins de velours, autour