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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/538

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à la liberté du travail en général l’honneur de s’en préoccuper. Lui, qui sait tant de choses, il ignore le rôle que joue l’échange dans la création de la richesse pour les individus et pour les états. Il professe le plus profond dédain pour la liberté du commerce international, qui pourtant n’est pas la forme la moins importante de la liberté du travail. Il la considère comme un péril pour l’état et comme une bévue impardonnable chez les écrivains et chez les administrateurs qui ont la faiblesse d’y croire. C’est ainsi qu’il fut sous l’empire l’adversaire impitoyable et implacable du traité de commerce. Il l’accabla de ses anathèmes. Il soutenait imperturbablement que le traité avait ruiné plusieurs de nos industries et appauvri la France. Heureusement il trouva à qui parler : il fut victorieusement réfuté à chacune de ses attaques par M. Rouher, M. Baroche, M. de Forcade et quelques autres, au point d’embarrasser plusieurs de ses amis que fatiguaient ses tableaux fantastiques et le déluge de ses chiffres incorrects.

La passion de l’illustre orateur à cet égard était restée dans toute son ardeur après le !i septembre, et fit explosion dès qu’il fut devenu l’arbitre de la France. Ayant, en sa qualité de chef de l’état, à dresser le plan de finances par lequel on ferait équilibre au budget des dépenses si énormément accru, il lui apparut qu’il pouvait, moyennant quelques arrangemens habiles, combiner cette vaste opération de façon à anéantir le traité de commerce du même coup. Des deux choses qu’il détestait le plus, l’une, l’empire, était démolie, et lui-même remplaçait l’empereur avec une autorité personnelle plus grande peut-être. L’autre, le traité de commerce, devait succomber sous l’habileté de ses combinaisons. Rien ne manquerait à son bonheur, si le bonheur de l’homme se mesure à la satisfaction de ses antipathies.

Pour mieux accomplir son dessein contre le traité de commerce, M. Thiers commença par se donner pour collaborateur, à titre de ministre des finances, un membre de l’assemblée qui avait siégé aussi dans le corps législatif, homme souvent éloquent, bouillant toujours, qui s’était fait remarquer par sa pétulance contre le traité de commerce, quoique, en cela probablement, il eût obéi moins à la violence de son propre sentiment qu’au désir de plaire à ses compatriotes de la Normandie, alors très prohibitionistes. M. Thiers se flattait de trouver en lui une vaillante épée pour mettre le traité en pièces.

Quelques jours après que Paris eut été reconquis sur la commune, le 12 juin, le plan financier préparé par M. Thiers avec l’assistance plus ou moins active de M. Pouyer-Quertier fut révélé à la tribune. L’idée-mère de ce programme était la destruction du traité de commerce. On supposait alors que pour équilibrer le budget il