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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/579

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IV. — DU PATRONAGE ET DE LA FIDÉLITÉ APRÈS CHARLEMAGNE.


Charlemagne releva l’autorité monarchique; il prit le titre d’empereur, il fit revivre les règles administratives de l’empire romain, ses traditions et jusqu’à son langage. Sur un point toutefois il s’écarta de l’ancienne politique de l’empire : au lieu d’interdire le patronage, il l’autorisa formellement. Il en fit une institution régulière et légale; il lui donna place dans ses Capitulaires. Il permit aux hommes libres de se recommander, c’est-à-dire de se mettre en vasselage, de se donner à un seigneur et de lui prêter le serment de foi. Louis le Débonnaire fit comme lui. Charles le Chauve alla plus loin : il exigea que tout homme dans son royaume eût un seigneur et fût vassal. Nous ne pouvons pas croire que ces trois princes fussent assez aveugles pour ne pas voir que cette institution devait un jour briser leur pouvoir; mais ils étaient en présence d’un de ces faits sociaux contre lesquels aucune force ne peut lutter. Il est vrai que Charlemagne mettait au-dessus de l’autorité seigneuriale sa propre autorité. Il voulait que chaque homme libre, en prêtant le serment de foi à celui qu’il faisait son seigneur, prêtât le même serment au roi; mais il y avait là une contradiction. Les obligations de la fidélité étaient tellement rigoureuses, tellement sans limites, elles constituaient une subordination si complète de tout l’être humain, qu’il était moralement impossible d’être à la fois le fidèle d’un seigneur et le fidèle du prince. Il fallait choisir.

Il n’est guère douteux que les classes inférieures n’eussent préféré obéir au prince, si elles se fussent senties suffisamment protégées par lui. Elles n’auraient pas subi l’autorité seigneuriale, si l’autorité monarchique avait pu les soutenir et étendre sa main jusqu’à elles. Charlemagne le savait; aussi répète-t-il maintes fois dans ses Capitulaires qu’il veut protéger les faibles. » Que les veuves, dit-il, que les orphelins, que tous ceux qui sont faibles vivent en paix sous notre défense, et qu’on respecte leurs droits. » Il enjoint aux commissaires impériaux de prendre surtout la défense des pauvres; mais la fréquence même de ses recommandations à cet égard fait douter qu’elles aient été efficaces. De telles instructions ne se rencontrent guère dans les états où les droits des faibles sont réellement respectés.

On se fait facilement illusion sur l’époque de Charlemagne. Comme les générations qui suivirent furent démesurément malheureuses, elles se représentèrent son règne comme un temps de paix intérieure, d’ordre, de prospérité. Qu’on lise les Capitulaires de ce prince, ils sont pleins de traits qui révèlent la misère publique, les