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habite un vaste continent et se trouve exposée aux attaques des lions et des panthères; incapable de s’envoler, elle se défendra le mieux possible à coups de pied. Satisfait de l’explication, le terrible savant ajoute : « Nous pouvons imaginer que le premier ancêtre de l’autruche avait les habitudes de l’outarde ; par une sélection naturelle dans les générations successives, le poids et le volume du corps ont augmenté ; les pattes sont devenues d’un usage plus ordinaire, les ailes d’un emploi moins fréquent, et l’animal n’a plus connu la faculté du vol. » Dans les parcs des ménageries, il n’est pas rare de voir courir une autruche; de ses petites ailes, elle bat l’air avec violence. Certainement qu’au désert, à l’approche d’un ennemi redoutable, l’oiseau tire tout le parti possible de ses membres avortés, afin de précipiter sa fuite. Si M. Darwin craignait de se contredire, n’affirmerait-il pas ici que de semblables efforts doivent produire un allongement des ailes? Au reste, pour un instant, ne refusons pas d’admettre l’existence d’une atrophie provenant d’un défaut d’usage dont le monde ne vit jamais d’exemple dans l’état de nature, la théorie n’en paraîtra guère plus solide. Par l’ensemble de la conformation, l’autruche et les autres grands oiseaux coureurs diffèrent des oiseaux ordinaires à beaucoup d’égards; en un mot, ils sont d’un type très particulier. L’idée d’une origine commune avec l’outarde serait fort extraordinaire aux yeux des vrais zoologistes, elle n’a pas été formulée; mais nous savons que, dans le domaine de la rêverie, toutes les audaces sont autorisées. Cependant il ne s’agit encore que de changemens survenus par suite du mode d’exercice, et alors si, dans les temps primitifs, l’autruche avait été habile au vol, l’individu de l’époque actuelle ressemblerait à son ancêtre comme le coq de race cochinchinoise ressemble au coq bankiva sauvage. — L’espèce serait toujours la même.

Un oiseau coureur, par la taille inférieur à l’autruche, le nandou, erre dans les vastes plaines de l’Amérique du Sud; c’est le pays du couguar et du jaguar. Selon toute apparence, si les nandous inoffensifs avaient la notion précise des avantages physiques, ils regretteraient en maintes rencontres de ne pouvoir s’envoler. Ici, la paresse dont on charge les habitans des îles paisibles resterait sans excuse, et M. Darwin lui-même se trouverait obligé de faire l’aveu que la sélection a bien mal opéré. Les autruches, les nandous, les casoars, les dinornis, les œpyornis, appartenant à un même groupe naturel, n’ont pas reçu l’usage des ailes, la faculté du vol semble incompatible avec un volume très considérable; des oiseaux du même type que ces oiseaux gigantesques, les aptéryx de la Nouvelle-Zélande, par exception réduits aux proportions des gallinacés, sont également des coureurs. Dans la nature, c’est toujours le caractère