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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/598

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le paysage un charme inexprimable. Un fait ignoré jusqu’alors fut révélé. Les espèces les plus communes, très exposées aux regards des oiseaux, possèdent un moyen de défense, les autres en sont privées et celles-ci se confondent avec les premières : elles trompent l’ennemi à la faveur de l’imitation. La ressemblance est un mode de protection donné par la nature. L’observation comparative des animaux de groupes divers portant pareille livrée promettait d’apprendre une foule de particularités curieuses de la vie des êtres. En Angleterre, plusieurs investigateurs ont pris part à cette étude; voyant que de minimes détails du costume jouent un rôle considérable dans l’existence de pauvres créatures sans défense, on s’est animé à cette recherche; le mot de mimicry, dont on regrette de ne pas trouver l’équivalent dans la langue française, a été adopté comme l’expression bien caractéristique d’un phénomène beaucoup plus général qu’on ne l’avait supposé; il touche l’esprit en reportant la pensée aux scènes du théâtre antique, à la condition des mimes. Au milieu de ses longues pérégrinations, M. Wallace, toujours attentif aux ressources de la vie dans le monde des animaux, a vu mille déguisemens qui n’avaient pas encore été signalés. M. Darwin supposant chaque avantage acquis par un individu appelé non-seulement à ne pas disparaître, mais encore à grandir de génération en génération, il a suffi à l’explorateur de la Malaisie, pour apercevoir le signe d’une sélection naturelle, de croire que le déguisement dont une multitude d’espèces offre l’exemple a été lentement obtenu. Des faits remarquables entre tous méritent d’être bien connus; ils ouvrent un vaste champ à la méditation, ils donnent l’idée d’une ravissante harmonie au sein de l’univers, ils conduiront à décider s’il est moins sage d’attribuer l’état de la nature à une suite d’heureux changemens qu’à des conditions déterminées dès l’origine.

La couleur est souvent protectrice de la vie de la créature. A cet égard, le principe d’utilité, dont parlent beaucoup les partisans de la théorie des transformations indéfinies, manifeste dans toutes les parties de l’organisme, réclame peu de clairvoyance pour être jugé indiscutable. Autrefois, comme aujourd’hui, le chasseur s’est aisément convaincu que l’animal réussit à se dérober à la faveur d’une teinte grise ou fauve se distinguant à peine de celle du sol, ou d’un plumage dont la nuance se confond avec celle des feuilles. En maintes circonstances, nos lièvres et nos lapins, fuyant sur une terre nue, dépistent les malheureux qui les poursuivent. Les antilopes d’Afrique et les kangourous d’Australie ont un pelage procurant de pareils succès. On cite le lion comme magnifique exemple de conformité de coloration ; couché sur le sable du désert ou tapi entre les pierres, l’animal doit être presque invisible à distance, et la gazelle approche sans crainte. L’ours polaire ne tranche en aucune