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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/643

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Les enfans couraient et quelques personnes attablées près de nous se levèrent pour aller voir ce qui se passait. Nous ne tardâmes pas à connaître la cause de ce petit tumulte. Au milieu d’un groupe de curieux, trois gendarmes, la carabine sur l’épaule, conduisaient à la ville un prisonnier qui paraissait éveiller sur son passage la plus vive sympathie.

— Est-ce possible ! s’écria le docteur. Notre ami Manuel ! Comment ont-ils fait pour le prendre?

Edouard fronça légèrement le sourcil et ne dit pas un mot.

Nous nous étions levés tous les trois, et le docteur marcha à la rencontre du prisonnier, qui s’approchait. C’était un homme d’assez haute taille et d’une fière tournure, vêtu, à ce qu’il me sembla, d’un costume espagnol, gilet et ceinture rouges, culotte de velours noir, veste de même étoffe jetée négligemment sur l’épaule gauche : un béret brun, des bas blancs et des espadrilles de cuir complétaient son accoutrement pittoresque. On lui avait laissé les mains libres, et il marchait la tête haute, son makila[1] sur l’épaule, sans paraître se soucier ni de ses gardiens, ni des curieux qui exprimaient tout haut leur pitié. Le docteur alla droit vers lui et essaya de lui serrer la main, mais les gendarmes l’écartèrent.

— Pourquoi l’arrêtez-vous? s’écria B... impatienté. Dites-moi ce qu’il a fait.

— Cela ne nous regarde pas, répondit le brigadier. Nous avons les ordres du commissaire; vous pouvez lui demander.

— A revoir, mon pauvre Manuel ! dit le docteur.

Le prisonnier répondit en souriant deux ou trois mots que je ne pus comprendre et continua sa route. Il passa près d’Edouard sans le regarder.

— Quel est ce personnage? demandai-je au docteur, qui paraissait fort mécontent.

— C’est le meilleur garçon et le plus honnête homme de la contrée. A dix lieues à la ronde il n’a que des amis. Pourquoi diantre le commissaire l’a-t-il fait arrêter?.. Quelque histoire de contrebande sans doute. Voilà un beau motif pour envoyer les gendarmes au premier coblacari du Labourd!.. Messieurs, excusez-moi. Je vais sur-le-champ trouver le commissaire, qui m’a. Dieu merci, des obligations très étroites. Je lui parlerai pour Manuel, et, bon gré mal gré, il m’écoutera. Je vous rejoindrai dans un moment.

— Bonne chance, mon cher B..., dit Edouard en serrant la main du docteur, qui rentra dans la ville.

— Tu connais cet étrange prisonnier? dis-je à demi-voix à Edouard en m’asseyant près de lui.

  1. Bâton ferré en néflier, compagnon inséparable du paysan basque.