Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/676

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vierge ! quels dangers vous courez! Mais soyez tranquille, vous êtes chez mon père, et j’aurai soin de vous cacher... Mon Dieu, continua-t-elle en fixant sur moi ses grands yeux, c’est bien vous, vous-même... Seulement votre visage s’est bruni à la guerre... Ah! Manuel, pourquoi partir ainsi? pourquoi ne m’avoir jamais rien fait dire? Vous ne m’avez pas oubliée?..

Je commençais à être assez embarrassé, et par bonheur pour moi Errecalde rentra dans le moment. Ne me reconnaissant pas, il ne parut point surpris de me voir et me donna le bonsoir en labourdin avec sa rondeur habituelle. Je lui demandai de me recevoir suivant la coutume de notre pays, alléguant que je ne connaissais pas le chemin d’Aïnhoa; j’ajoutai que je devais partir avant le jour.

Oughi ethorri, soyez le bienvenu, jeune homme, répondit simplement le vieux Basque. Vous dormirez sous mon toit et partirez quand il vous plaira.

Un moment après, l’on se mit à table pour souper, et mon hôte me fit asseoir près de lui avec mes habits tout poudreux; mais je fus bien étonné de voir un capitaine d’infanterie prendre place avec nous, Paula, qui devina ma surprise, me dit en basque que c’était le commandant de la garnison d’Ascain, logé chez son père. Je n’ignorais pas que les moindres villages de la frontière avaient alors un détachement de troupes. Ce capitaine d’ailleurs se trouvait être un fort bon homme, grand amateur de chasse et de pêche, et il en causa volontiers avec moi.

Pendant le souper, Paula, qui faisait les honneurs de la table (sa mère était morte depuis longtemps), avait peine à contenir sa joie. Elle se levait sans cesse pour mieux me regarder. Le feu de ses yeux, l’incarnat de ses joues, faisaient un étrange contraste avec ses vêtemens, où tout était noir jusqu’au foulard noué autour de ses cheveux. J’ignorais la cause de ce deuil; mais Paula, avec son visage un peu amaigri, ne m’avait jamais paru si belle, et je ne pouvais me méprendre sur le motif de sa joie. Aussi la honte, le remords, la tendresse, s’emparaient de moi peu à peu, et j’avais besoin de me surveiller moi-même pour conserver un air indifférent.

A la fin du repas, la conversation ayant passé par une pente naturelle de la chasse à la guerre, Paula profita d’un moment où son père et le capitaine s’échauffaient à parler de leurs campagnes pour se lever de table et me dire à voix basse : — Sur la galerie à onze heures! — Personne ne l’entendit, et elle se retira. A dix heures, je pris congé de mon hôte, qui me conduisit lui-même à ma chambre en me souhaitant bonne nuit et bon voyage pour le lendemain.

Ma première pensée fut de m’enfuir de la maison et de risquer mon évasion par la montagne pendant la nuit. C’était facile : je connaissais bien les alentours d’Ascain et la Rhune. Quant à la maison,