Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/764

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renard s’enfuit à son approche; un instant après, il voit venir à lui une jeune fille qu’il connaissait. Point de doute, c’est le renard qui a pris cette forme, et notre habile homme feint de se laisser emmener par elle, tout en examinant avec soin s’il ne voit pas dépasser la queue, et s’étonnant fort de ne rien découvrir. Arrivé chez les parens de la jeune fille, qu’il connaissait, il les prend à part et leur dit : « Vous avez cru que c’était votre fille qui entrait avec moi, c’est un renard! — Notre fille, un renard! s’écrie la mère indignée. Voilà bien une insulte à jeter à d’honnêtes gens ! » Tokutaro soutient son dire, et pour le démontrer saisit la jeune fille, et l’accable de coups jusqu’à ce qu’elle reprenne sa forme. Il frappe si bien qu’elle en meurt. Cette fois il n’a plus peur d’être joué par les renards, il craint d’avoir tué une innocente jeune fille. Les parens vont quérir main-forte, et on va faire justice du meurtrier, quand passe par là un prêtre qui obtient sa grâce à la condition qu’il entrera dans les ordres et subira pour cela la tonsure. Il s’y soumet de grand cœur. En ce moment, Tokutaro entend un éclat de rire, il ouvre les yeux, le jour parait, et il se retrouve sur la bruyère où le renard lui est apparu. Tout cela n’était donc qu’un rêve? Hélas! non. En passant la main sur son crâne pelé, il s’aperçoit, mais un peu tard, de ce qu’il en coûte pour défier de tels ennemis. Revenu auprès de ses amis, bafoué et honteux, il finit par se faire moine.

Dans d’autres contes, le renard est présenté comme un être bienfaisant et reconnaissant. On lui prête des sentimens humains, et l’auteur raconte en détail les noces d’un jeune renard de bonne maison avec une demoiselle de haute lignée accomplies pendant une éclaircie du ciel entre deux averses de pluie[1]. Souvent aussi le conteur fait intervenir d’autres animaux. Parfois même les ustensiles de ménage personnifiés entrent en scène et se coalisent avec l’homme contre ses ennemis. On reconnaît, le plus souvent avec beaucoup de peine, l’allégorie qui se cache sous la fable, quand il s’en cache une; en revanche, quel recueil on ferait d’anecdotes édifiantes!

« Un daïmio avait fait faire vingt vases de porcelaine d’une magnifique beauté; il ne vivait que pour les admirer. Un jour, une servante a le malheur d’en casser un par mégarde. Il entre en fureur et la condamne à mort. En apprenant cela, un de ses vassaux se présente, se disant possesseur d’une recette précieuse pour réparer le vase sans qu’on y soupçonne la moindre fêlure. Il faut seulement qu’il les voie tous ensemble. On le conduit dans la pièce où les précieux fétiches reposent sous une tenture de soie. Il soulève

  1. De là, l’expression japonaise, la noce du renard, correspondant au dicton de nos paysans, « le diable bat sa femme. »