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qui se construit un nid dans lequel il dépose ses œufs, un crabe[1] et un mollusque sans coquille[2]. Ces animaux sont tous de la même couleur que les algues sur lesquelles ils vivent; ils se confondent à la vue avec les plantes marines qui leur servent de support et échappent ainsi à la fois aux oiseaux de proie marins qui planent au-dessus d’eux, et aux poissons voraces qui les guettent en dessous.

Devant le port de l’île danoise de Saint-Thomas, la drague fut lancée à la profondeur de 1,830 mètres, d’où elle ramena une faune aussi riche que variée, des éponges, des coraux et un crustacé[3], véritable écrevisse, mais portant du côté droit une longue pince armée de dents aiguës, tandis que celle de gauche est trois fois plus petite et couverte de poils. A 80 milles au nord de Saint-Thomas, la drague toucha le fond à l’énorme profondeur de 7,130 mètres, la plus grande où elle soit jamais descendue, mais elle ne ramena qu’une boue rougeâtre sans êtres vivans.

Du 2 au 21 avril, la corvette se reposa dans le port du petit archipel des Bermudes, qui appartient à l’Angleterre; ce sont des îlots formés par des coraux qui se désagrègent à l’air et se convertissent en sable. Ce sable, transporté par les vents, se dépose sous forme de dunes; puis l’eau de la pluie chargée d’acide carbonique agglutine les grains de sable et les convertit en un grès à couches contournées. Le contournement des couches est l’œuvre des tourbillons de vent et non, comme c’est l’ordinaire, celle de pressions ou de soulèvemens de l’écorce terrestre. Aux formations ignées, neptuniennes, lacustres, fluviatiles et glaciaires, on pourrait donc ajouter les formations éoliennes, si elles jouaient un rôle plus important dans les phénomènes physiques de notre globe. Il n’y a ni rivières, ni ruisseaux, ni étangs aux Bermudes. La pluie s’infiltre instantanément dans le sol, formant ainsi des nappes souterraines d’eau douce soutenues en vertu de leur légèreté spécifique par les eaux plus denses de la mer.

En quittant les Bermudes, un poisson de la famille des sternoptychides, portant sur le corps des rangées de taches phosphorescentes, fut péché à la profondeur de 500 mètres environ. Sa peau est couverte non point d’écailles imbriquées, mais de plaques hexagonales séparées par des lignes foncées enduites d’un pigment argenté avec reflets verts et bleus. A l’énorme profondeur de 5,200 mètres, la drague détacha un cirrhipède pédicule femelle ayant 6 centimètres de long; c’est le plus grand de son genre, aussi les zoologistes du Challenger lui décernèrent-ils l’épithète de

  1. Nautilograpsus minutus.
  2. Scillœa pelagica.
  3. Astacus zaleucus.