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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/789

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LA
JUSTICE DES PAYSANS
RECIT DE MŒURS GALICIENNES.


I.

Au mois d’août, nous avons un ciel couvert, des jours de tempête comme en novembre. Le vent hurle sans cesse, il prend pour gémir des voix étranges, infatigables, qui font penser aux sanglots d’un enfant, aux cris d’un jeune animal qui a perdu sa mère, ou encore à la plainte déchirante et solennellement monotone de nos paysannes échevelées auprès d’un cercueil, tandis que le chantre murmure ses prières et que la bouteille d’eau-de-vie circule dévotement de main en main ; parfois aussi on croit entendre la trompette du jugement dernier : la terre tremble comme si elle allait s’ouvrir çà et là pour laisser sortir les morts. Le vent fait sonner les chaumes courts, il fond sur les champs de blé mûr, brisant les épis aux têtes fléchissantes, il menace de déraciner les arbres et couvre le sol de leurs fruits ; il couche et relève tour à tour sous son souffle capricieux la forêt tout entière. Cette haleine féroce du vent disperse les meules de foin; elle pousse violemment de lourds brouillards à l’entour du village, puis s’amuse à déchirer tout à coup le voile gris pour en enchevêtrer les vaporeux lambeaux comme des fils de la Vierge. Tout ce qui respire a pris la fuite. Les poules se pressent les unes contre les autres, la tête sous l’aile, le long de la perche qu’abrite le toit saillant de l’étable; notre chien de garde s’est retiré dans sa niche et dort, le dos tourné dédaigneusement à l’orage ; les moineaux enflés en boule ont pris possession des moindres points de refuge que peuvent offrir les murailles du château et de ses dépendances ; ils paraissent avoir renoncé à leur