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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/806

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collé sur son sein, le battait de ses petites mains, et elle souriait en le regardant, si absorbée dans son bonheur qu’elle ne me vit pas, et là le diable s’empara de moi... De même qu’il montra au Seigneur toute la terre en disant : « Elle doit être à toi ! » de même il me montra cette jeune, souriante et belle créature. Depuis cette heure funeste, j’errai dans le village comme le loup rôde autour du troupeau.

Un jour, c’était un dimanche, je ne l’oublierai jamais, il y avait de la musique au cabaret; les autres dansaient, moi, j’étais assis dans un coin à fumer, à boire et à réfléchir. Maxime entre, m’aperçoit, et vient s’asseoir sans façon devant ma table. — Allons, un peu de gaîté, Cyrille, commença-t-il ironiquement, prends un verre de vin avec moi, buvons à la santé de ma femme; elle n’aura rien à dire contre cela.

— Mais j’ai à dire, moi, répondis-je en colère, que je ne boirai jamais avec un sot de ton espèce.

— Es-tu ivre? dit Maxime.

— Il ne me convient pas non plus que tu viennes ici jouer au grand seigneur; reste chez ta femme, sous la pantoufle!..

— Moi, sous la pantoufle? s’écria Maxime le poing fermé, — car il était violent comme le sont tous les gens riches et gâtés.

— Oui, tu y es! répliquai-je.

Là-dessus il me frappa au visage, il me frappa, comprenez-vous? lui, Maxime le riche, qui avait pour femme celle que j’adorais comme un fou...

— Eh bien?..

— Eh bien! je l’ai tué ! dit Cyrille en riant de son rire infernal. Le silence entre nous fut long cette fois. — Et qu’est-ce qu’on t’a fait? demandai-je enfin.

— Comme j’avais à peine vingt ans, que j’étais ivre et jaloux, comme Maxime m’avait provoqué à cette rixe, j’en fus quitte pour dix ans de prison. Au bout de dix ans, je revins transformé en malfaiteur complet, et pourtant,... pourtant elle est à moi aujourd’hui ! N’ai-je donc pas eu raison ?

— Elle est ta femme?

— Non, mais elle le sera avec l’aide de Dieu ou du diable !


IV.

Je m’étais égaré en revenant d’une visite au curé russe de Toulava. Lorsque je sortis de chez moi, séduit par une magnifique journée d’hiver, le ciel était clair et bleu, ensoleillé malgré le froid, la neige craquait sous mes pieds, et chaque branche, chaque aiguille de sapin portait des fleurs de glace qui faisaient scintiller la montagne